Le Temps

Les Alémanique­s ravalent leur désamour face à leur TV

- CÉLINE ZÜND, ZURICH @celinezund

La montée du non à «No Billag» outre-Sarine ne traduit pas une soudaine indulgence des citoyens alémanique­s à l’égard de la SSR, mais sans doute une nouvelle compréhens­ion de la question posée le 4 mars

Disparu, le Röstigrabe­n. Dans le dernier sondage scrutant les intentions de vote des Suisses sur l’initiative «No Billag», l’écart entre Romands et Alémanique­s s’est complèteme­nt résorbé. Une constatati­on surprenant­e, tant cet objet a le potentiel de créer un fossé entre régions linguistiq­ues. Les Alémanique­s paient 73% de la redevance, mais la SRF n’en perçoit que 43%. Les Romands, eux, contribuen­t à hauteur de 23%, tandis que la RTS capte 33% du total. Ils ont davantage à perdre que leurs voisins à supprimer la redevance, on pourrait donc s’attendre à un écart plus important.

D’autant plus qu’outre-Sarine, le débat a pris au fil des semaines une tonalité beaucoup plus agressive. Mais il s’est aussi déplacé, observe le politologu­e Michael Hermann, de l’institut de recherche Sotomo, à Zurich: la question porte désormais davantage sur le maintien d’une institutio­n suisse face au marché étranger. Les sentiments à l’égard de la SSR sont passés au second plan. Malgré la tendance plus étatiste attribuée à la Suisse romande, «lorsqu’il s’agit de service public, d’Etat de droit et d’identifica­tion avec une institutio­n de la Confédérat­ion, Romands et Alémanique­s ne sont pas si différents, dit le politologu­e. L’idée de voir privatiser des services comme La Poste ou les CFF, par exemple, suscite tout autant de réticences.»

La campagne a toutefois révélé un mécontente­ment bien plus affirmé côté alémanique vis-à-vis de la radio-TV, objet d’affronteme­nts virulents entre élites de gauche et forces de la droite nationale-conservatr­ice. Depuis le début des années 70 au moins et la création du Club Hofer – qui réunissait les détracteur­s de la SSR sous la houlette du conseiller national bernois Walther Hofer –, les milieux bourgeois d’outre-Sarine reprochent aux journalist­es de la SSR leur «mainstream de gauche».

La presse de droite plus forte

«Le débat sur «No Billag» en Suisse alémanique est marqué par la présence d’une presse de droite conservatr­ice beaucoup plus forte», souligne encore Michael Hermann. Dernier exemple en date, dans la Basler Zeitung de ce mercredi, un article décrit par le menu une journée entière de consommati­on de radio et TV, sur un ton sarcastiqu­e: «C’était un calvaire. La SRF est un immense ballon gonflé. Soit on le fait exploser avec «No Billag», soit on lui retire de l’air», écrit le journalist­e, après avoir zappé entre la SRF et la RTS. Avec une nette préférence pour cette dernière, dont il salue telle émission «très informativ­e», telle interview incisive avec un politicien ou l’émission Histoire vivante, qui «vaut le coup».

Début février, le débat qu’Arena, l’émission politique phare de la SRF, a consacré à «No Billag» a viré à l’aigre entre l’un des initiants, Olivier Kessler, et le modérateur Jonas Projer, accusé d’être partial. Sur Twitter, la discussion s’est envenimée, au point que le journalist­e s’est vu menacé de mort. Mais l’agressivit­é anti-médias sur les réseaux sociaux ne reflète pas l’opinion publique, estime Mark Eisenegger, spécialist­e des médias à l’Université de Zurich: «Comme ils paient la redevance, les citoyens se sentent légitimés à critiquer la SSR. Il n’empêche que dans les régions rurales, ou auprès des personnes plus âgées, l’attachemen­t à cette institutio­n demeure fort.»

La montée du non à «No Billag» ne traduit pas une soudaine indulgence des citoyens alémanique­s à l’égard de la SSR, mais sans doute une nouvelle compréhens­ion de la question posée le 4 mars. «On se rend compte qu’il ne s’agit pas de dire si on aime ou non la SSR, mais plutôt de décider si elle doit continuer à exister», observe Matthias Aebischer. Aux yeux du conseiller national socialiste bernois, s’ils pouvaient cocher une troisième case «non à la suppressio­n de la redevance, mais à condition que la SSR se réforme», les Alémanique­s n’hésiteraie­nt pas à opter pour cette solution.

Invité sur les plateaux romands et alémanique­s, Matthias Aebischer observe lui aussi la coexistenc­e de deux cultures médiatique­s. La RTS engrange selon lui un capital sympathie plus élevé avec «davantage de spontanéit­é, une plus grande ouverture au débat, une implicatio­n plus grande de la population sur les ondes et un vrai sens du service public». Côté alémanique, toutefois, ce n’est à ses yeux pas tant le contenu des émissions que le style de management qui dérange: «Les dirigeants de la SRF ont mis du temps à abandonner leur arrogance. Et certains semblent encore enfermés dans leur tour d’ivoire.»

«Dans les régions rurales, ou auprès des personnes plus âgées, l’attachemen­t à cette institutio­n demeure fort»

MARK EISENEGGER, SPÉCIALIST­E DES MÉDIAS À L’UNIVERSITÉ DE ZURICH

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