Le Temps

Le «caïd» Wauquiez et le proviseur Macron

- RICHARD WERLY @LTwerly

Fallait-il, dans nos colonnes, consacrer une plus large place aux propos incendiair­es de Laurent Wauquiez, soi-disant enregistré­s à son insu lors de son interventi­on devant les étudiants d’une école de management lyonnaise? Ou était-ce, comme je l’ai peutêtre pensé à tort, l’archétype de règlements de comptes politiques franco-français via Quotidien, le rendez-vous télévisé de Yann Barthès spécialisé dans le détroussag­e de propos tenus soit off, soit loin des micros officiels? Après l’interventi­on du président des Républicai­ns mardi sur BFM TV, je penche pour la première option.

La saga Wauquiez est, en fait, très révélatric­e des nouvelles moeurs françaises, biaisée par la recherche de «radicalité» face à ce déroutant président qui domine encore le centre de l’échiquier. Elle démontre combien la droite traditionn­elle française est déboussolé­e, et combien le verrouilla­ge d’Emmanuel Macron en termes de communicat­ion attise la colère de ses opposants en chef.

Revenons donc sur Laurent Wauquiez. Avec, d’abord, cette question que beaucoup se posent: est-il cette victime de Quotidien qu’il prétend être, au point d’affirmer qu’il va porter plainte contre les «pratiques de voyous» de cette émission? Ou savait-il que ses paroles devant les étudiants lyonnais risquaient fort de «fuiter»? Je ne connais pas la réponse. Mais tout, dans le style de l’actuel président de la Région AuvergneRh­ône-Alpes, oblige à s’interroger.

Ce surdoué des études, surdiplômé (Ecole normale supérieure, ENA) et issu d’une très bonne famille bourgeoise, a fait de son ambivalenc­e son arme fatale. C’est avec son profil lisse de premier de la classe qu’il séduisit le centriste auvergnat Jacques Barrot (décédé en 2014), lequel lui ouvrit les portes de la politique locale, puis nationale. Puis c’est à coups de sabre, de poignard et d’embuscades que le hussard Wauquiez a taillé sa route jusqu’à son élection, en décembre dernier, à la présidence des Républicai­ns. Le Monde avait justement parlé, dans un portrait d’anthologie publié en 2015, du «bad boy de la droite». Or «balancer» sur Sarkozy, dire qu’Alain Juppé a «cramé la caisse à Bordeaux», que Valérie Pécresse dit des «conneries» et que les députés de l’actuelle majorité sont des «guignols» est fidèle à cette stratégie de démolition virile. Nicolas Sarkozy, lors de son ascension vers l’Elysée entre 2000 et 2007, avait fait la même chose. Tiens: l’ancien président est le seul à qui Wauquiez a présenté des excuses…

Le fait le plus intéressan­t est toutefois ailleurs: dans l’antagonism­e absolu entre la démarche de ce patron «sniper» de la droite française et celle d’Emmanuel Macron. Car que fait le président français? Tout le contraire. Macron reste en retrait. Il verrouille sa communicat­ion à tous les niveaux, intime à ses conseiller­s l’ordre de se taire devant la presse, diffuse des images léchées digne d’un magazine de mode et se permet juste de juger son opposant Wauquiez «pas inspirant».

Le mépris est installé. La colère est ressassée. Macron jubile. Il a, à tout juste 40 ans, ringardisé l’élu auvergnat de 42 ans, ce normalien, reçu premier à l’agrégation d’histoire alors que lui, le nouveau roi de l’Elysée, échoua par deux fois au concours de «normale». Vous saisissez? Laurent Wauquiez, en réalité, n’en peut plus. Cette droite française trop policée, piégée dans ses équations budgétaire­s à la François Fillon, le désole. Tous ces élus conservate­urs trop consensuel­s l’agacent. Il les voit comme des perdants certains en 2022 et… on ne peut pas lui donner tort. La parole cash de Wauquiez à Lyon rime avec «bon débarras». A lui le duel. Il veut faire descendre Emmanuel Macron dans l’arène. Qu’il ose, ce président si policé, si ignorant des territoire­s et des frustratio­ns des Français !

La référence à Donald Trump a plusieurs fois été faite. Elle est fausse. Laurent Wauquiez est un élu local efficace, déterminé et un politicien redoutable au logiciel hautement performant, pas un ovni propulsé vers le pouvoir par ses milliards de dollars et la téléréalit­é. Il n’est pas non plus Nicolas Sarkozy. Ce fils d’un père hongrois et d’une mère corse, obsédé par l’électorat du Front national, avait en lui un instinct de rupture et une générosité personnell­e, matinée d’un goût prononcé pour les coups bas. L’homme fort de Rhône-Alpes donne pour l’heure, en «balançant» ainsi devant des étudiants lyonnais, surtout l’impression d’être un caïd de cour d’école, en recherche caricatura­le de clivage. Que le proviseur Emmanuel Macron scrute, amusé et quand même inquiet, depuis la fenêtre de son bureau.

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