La BCE s’inquiète de la crise lettone
Une banque soupçonnée de blanchiment et de financement d’armement en Corée du Nord, le président de la banque centrale accusé de corruption et la Russie suspectée de tirer les ficelles... De quoi plonger l’Etat balte dans l’incertitude
La Lettonie ne représente que 0,2% de l’économie de la zone euro dont elle est membre depuis 2014. Sa population, 0,6%. Il n’empêche: la crise qui a éclaté la semaine passée est prise très au sérieux. La situation est suivie de près par la Banque centrale européenne (BCE) et a fait l’objet de délibérations mercredi au sein de son Conseil des gouverneurs. Objectif: éviter que les problèmes de la banque ABLV ne se propagent dans le pays et dans la zone euro. Déjà, dimanche, Mario Draghi, le président de la BCE, a interdit à la banque d’effectuer tout paiement et transfert d’argent à des tiers partis. Dans la pratique, ses clients n’ont plus accès à leurs comptes.
Pourquoi? Vendredi dernier, cet établissement, le troisième du pays, s’est retrouvé à court de liquidités et a appelé la banque centrale de Lettonie à la rescousse. Plus tôt dans la semaine, l’agence américaine de lutte contre le crime financier avait désigné cette banque comme un «maillon de première importance en matière de blanchiment d’argent». Washington l’a aussi impliquée dans des programmes illégaux de développement d’armes en Corée du Nord en violation de sanctions contre le régime de Pyongyang.
Le couperet est tombé sans tarder. Les Etats-Unis ont coupé l’accès de l’ABLV à leur marché financier. Sa filiale américaine a été mise sous enquête et les cartes de crédit émises par ses services ne sont plus valables. Dans les jours qui ont suivi cette mise en accusation, des retraits à hauteur de 600 millions d’euros ont pratiquement vidé les caisses de la banque. «C’est une somme considérable par rapport à son bilan de 3,6 milliards d’euros en septembre 2017 et les dépôts chez ABLV représentent près de 10% du produit intérieur brut (PIB) du pays, fait remarquer Eric Dor, directeur des études économiques à l’Ieseg School of Management à l’Université de Lille. D’où son appel au secours à la banque centrale lettone, qui lui a déjà avancé 97 millions d’euros.»
Pour Diane Pierret, professeure de finance à l’Université de Lausanne, la BCE, en tant que superviseur unique bancaire dans la zone euro, doit assumer une certaine responsabilité dans cette pagaille. «Cette crise montre ses limites en ressources et en crédibilité, dit-elle. Car il a fallu que la dénonciation vienne des Etats-Unis.» Selon elle, les risques de contagion dépendront des liens entre la banque lettone et d’autres banques européennes.
Ce n’est pas la seule affaire qui plonge l’Etat balte dans l’incertitude. Soupçonné de corruption, le gouverneur de la banque centrale de Lettonie, Ilmars Rimsevics, a été interdit d’exercer ses fonctions par le Bureau national anti-corruption. «J’ai confiance dans les institutions légales du pays, a déclaré le premier ministre, Maris Kucinskis, dans une interview télévisée mercredi matin à Riga. Il y a de quoi ouvrir une enquête et les enjeux sont de taille.» Ilmars Rimsevics, membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, est désormais aussi relevé de ses responsabilités à Francfort. Il lui est aussi interdit de quitter le pays.
Le directeur de la banque centrale de Lettonie, qui est aussi le régulateur bancaire national, aurait réclamé des dessous-de-table pour émettre des évaluations positives sur la solidité de la banque Norvik, huitième établissement du pays. Ilmars Rimsevics qui, en vingt-cinq ans de carrière, a survécu à 19 gouvernements, crie au complot.
«Cette crise montre les limites en ressources et en crédibilité de la Banque centrale européenne»
DIANE PIERRET, PROFESSEURE DE FINANCE À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE ABLV, troisième banque lettone, s’est retrouvée vendredi à court de liquidités et a appelé la banque centrale de Lettonie à la rescousse. En cause, une enquête ouverte par Washington sur de présumées opérations de blanchiment.
L’ombre de Moscou
Pour le premier ministre, Maris Kucinskis, les deux affaires ne sont pas liées. Mais c’est le Ministère letton de la défense qui est venu semer la confusion. Dans un communiqué publié mercredi, il accuse la Russie voisine de tirer les ficelles dans les deux cas, ajoutant que le mode opératoire est identique à celui utilisé en France, en Allemagne et aux Etats-Unis lors des récentes élections. Les législatives lettones auront lieu le 6 octobre prochain.
Quoi qu’il en soit, l’incertitude qui plane désormais sur la Lettonie rappelle la crise de 2009 qui avait fait plonger le pays dans une profonde récession. «Avant la crise des «subprime», le pays avait enregistré une croissance forte, mais déséquilibrée avec un déficit qui avait atteint 26% en 2006, explique Eric Dor. En 2009, la bulle immobilière a explosé et il a fallu des prêts internationaux de 7,5 milliards d’euros contre un sévère programme de réformes sous la supervision du Fonds monétaire international pour remettre l’économie sur les rails.»
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