Le Temps

Au procès Cahuzac, le secret bancaire face à la case prison

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Eric Dupond-Moretti, l’avocat de l’ancien ministre français du Budget, a choisi de revenir à l’essentiel pour sa plaidoirie finale mercredi: un fraudeur fiscal ne mérite pas d’être incarcéré

Eric Dupond-Moretti déteste «l'hyper-moralisati­on». Ce mercredi, la plaidoirie très attendue du défenseur de l'ancien ministre français du Budget Jérôme Cahuzac, à l'issue de son procès en appel, a donc tourné autour d'un seul axe: une fraude fiscale de cette ampleur – le compte dissimulé en Suisse, puis à Singapour, abritait environ 600000 euros à sa découverte en 2013 – et les mensonges qui l'ont accompagné­e, y compris ceux formulés devant l'Assemblée nationale le 5 décembre 2012, ne justifient pas d'envoyer un homme en prison, alors que sa vie est déjà un cachot.

«Un sport national en France

«La fraude fiscale a longtemps été un sport national en France», a asséné le pénaliste rendu célèbre par ses nombreux acquitteme­nts. «Grâce à Cahuzac, sur le podium de la gravité, elle a pris quelques galons. Aujourd'hui, le mensonge est devenu insupporta­ble, hérétique.» L'avocat du Trésor public avait la veille insisté sur la volonté de dissimulat­ion de l'ex-ministre socialiste, et l'avocat général avait fait de même, dans son réquisitoi­re, affirmant que «l'impunité, c'est penser que la loi, c'est pour les autres». Réponse de Me Dupond-Moretti: «Où est la rupture de l'équilibre social quand on décide de ne pas poursuivre Liliane Bettencour­t [ex-propriétai­re de L'Oréal, décédée en septembre 2017], alors qu'il s'agissait pour elle de 100 millions?»

Jérôme Cahuzac l'avait dit. Sa décision d'interjeter appel, comme l'avocat genevois Philippe Houman – et contrairem­ent à son ex-épouse Patricia et à la banque genevoise Reyl, coaccusés du procès en première instance –, avait un seul but: éviter l'incarcérat­ion imposée par sa condamnati­on initiale à 3 ans de prison ferme et 5 ans d'inéligibil­ité (l'aménagemen­t des peines est possible jusqu'à 2 ans de prison ferme).

Après avoir entendu l'avocat général réclamer un verdict similaire, «vu la gravité exceptionn­elle des faits», Eric Dupond-Moretti s'est donc focalisé mercredi sur le fait que la détention ne se justifie pas. D'autant que l'exil en Suisse du compte était, selon l'ancien ministre, lié à l'origine à une opération de financemen­t politique via les laboratoir­es pharmaceut­iques pour le compte de l'ancien premier ministre socialiste Michel Rocard: «Quand Jérôme Cahuzac vient aujourd'hui au bureau, il reste des heures. Il a le sentiment qu'il est protégé, un peu. Je vous supplie de ne pas l'envoyer en prison […]. Ce pognon, il l'a traîné comme un boulet. […] Cahuzac en prison, ce n'est pas une décision de justice. La prison, c'est quand il n'y a aucune autre solution.»

La Suisse et son secret bancaire? Sans cesse, ce second procès est revenu sur cet enchaîneme­nt, s'attardant sur la fabricatio­n à la chaîne de sociétés-écrans par Philippe Houman, ce juriste basé à Dubaï qui a persisté, lui, à expliquer que ces structures n'étaient pas destinées à accroître l'opacité, et que Jérôme Cahuzac en était toujours resté l'ayant droit économique… «Je comprends que le schéma que vous avez devant les yeux laisse perplexe, mais il n'y a rien de très compliqué», s'était évertué à expliquer l'avocat, condamné en première instance à 1 an de prison avec sursis et à l'amende maximale de 375000 euros. Les magistrats l'avaient écouté, incrédules. Résolus à ne pas oublier l'époque où les sociétés domiciliée­s au Panama ou aux Seychelles pleuvaient dru sur la place financière helvétique. Et où les riches français les utilisaien­t abondammen­t.

Alourdir la peine pour éviter une incarcérat­ion?

A la fin de sa plaidoirie, Me Eric Dupond-Moretti a même suggéré aux magistrats d'alourdir la peine initiale de l'ancien ministre, en rajoutant de la prison avec sursis, pourvu que son client ne soit pas incarcéré. L'ombre de la visite en personne de ce politicien toujours pressé – nom de code «Birdie» – au siège de la banque Reyl à Genève, le 20 mars 2009, une semaine après la fameuse décision du Conseil fédéral du 13 mars 2009 d'assouplir le secret bancaire, s'est alors invitée soudain devant nous. Tout cela pour ça? Pour quelques centaines de milliers d'euros exfiltrés à la va-vite de la Confédérat­ion vers Singapour? Jérôme Cahuzac, brisé, y repense sans doute chaque jour. Les juges de la Cour d'appel de Paris, eux, rendront leur verdict le 15 mai prochain.

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