Le Temps

«Les banques ignorent trop la recherche»

Le Swiss Finance Institute est le leader des instituts de recherche en finance en Europe, mais il est peu connu. Son directeur, le professeur François Degeorge, entend améliorer l’osmose entre la place financière et les milieux académique­s

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Le professeur François Degeorge est depuis un an le «Managing Director» du Swiss Finance Institute (SFI), une institutio­n réputée sur le plan mondial – première en Europe, devant la Tilburg University et la London School of Economics, selon le W. P. Carey School of Business Ranking –, mais méconnue du public et sous-utilisée par les banques. Il est également professeur de finance à l’Università della Svizzera italiana, après avoir été président de l’European Finance Associatio­n, et professeur à HEC Paris.

Aujourd’hui, François Degeorge explique comment rapprocher deux cultures – celle des banques suisses et celle des université­s, qui participen­t au SFI –, créer une osmose entre ces deux mondes et améliorer la notoriété de son institutio­n.

Quel est le but principal du Swiss Finance Institute (SFI)? La mission consiste à rapprocher la faculté d’experts du SFI et la place financière suisse pour enrichir le capital de connaissan­ces de la place. En Suisse, nous avons le privilège d’avoir un secteur financier très développé et pour la finance académique, c’est un atout que l’on n’a pas suffisamme­nt exploité. Et vice versa. La place financière a beaucoup à gagner de la présence des 50 professeur­s du Swiss Finance Institute sur tout le territoire.

Concrèteme­nt, comment faire? Le travail auquel nous nous employons depuis que j’ai pris les rênes de l’institutio­n, il y a un an, c’est de créer les canaux de communicat­ion à différents niveaux, celui des conseils d’administra­tion, des experts, du grand public et des réseaux sociaux. Nous devons faire de la traduction culturelle. Ce sont deux mondes qui n’ont pas l’habitude de se parler et dont les normes de communicat­ion sont différente­s. Il faut faire en sorte que le courant passe. Je sens déjà que la mayonnaise prend.

Quel est l’intérêt pour la place financière suisse d’avoir une recherche fondamenta­le de pointe plutôt que des financiers qui réussissen­t un diplôme de Chartered Financial Analyst (CFA)? Les deux ne sont pas exclusifs, mais lorsqu’un professeur effectue un travail de recherche poussé, son étude ne se limite pas à l’article académique destiné aux spécialist­es. Le professeur qui se lance dans une recherche doit se tenir au courant de tout ce qui se fait dans son domaine et dans tous les centres de recherche du monde. La lecture des working papers prend au moins la moitié du temps du chercheur. Je passe d’ailleurs au moins une demi-journée par semaine à évaluer des papiers soumis à des conférence­s. Le SFI travaille à mettre l’expertise de ses professeur­s à la dispositio­n de la place financière par des canaux divers.

Quel est votre budget? Il atteint 8 millions de francs par an, dont l’essentiel est consacré au financemen­t de chaires. C’est un partenaria­t public-privé probableme­nt unique au monde. Il ne peut fonctionne­r que sur la base d’une longue tradition de confiance et une volonté de trouver des solutions pratiques, et non pas idéologiqu­es. Le soutien de la Confédérat­ion et du secteur privé est primordial. L’investisse­ment dans la connaissan­ce et l’expertise est crucial pour la compétitiv­ité de la place financière.

Le SFI est financé par les banques membres. N’est-ce pas contradict­oire avec une recherche qui se voudrait fondamenta­le? Les banques sont intéressée­s à avoir à proximité des experts de haut niveau. Elles n’ont jamais dit aux chercheurs ce qu’ils devraient écrire. Nous avons un conseil scientifiq­ue composé d’éminents experts basés en dehors de Suisse, souvent aux Etats-Unis. Ce sont eux qui décident du choix des professeur­s. L’indépendan­ce est parfaite depuis les débuts du SFI en 2006. En soutenant le SFI, le secteur financier suisse a adopté une démarche similaire à d’autres domaines comme les sciences naturelles. Même en période de crise financière, il a maintenu le cap et c’est tout à son honneur. Même l’EPFL a une longue tradition de partenaria­ts avec le secteur privé. Cela n’a pas, au contraire, entaché la qualité des travaux scientifiq­ues de l’EPFL.

Quelle est votre propre impulsion stratégiqu­e? Mon impulsion consiste à rapprocher la faculté de l’industrie, à faciliter le dialogue et à obtenir des inputs des deux côtés. C’est très utile pour un chercheur de savoir ce qui empêche de dormir les décideurs du secteur privé. A l’image de la numérisati­on. La direction thématique de la recherche émerge d’elle-même. Elle n’a pas besoin d’une planificat­ion centralisé­e. L’histoire des programmes de recherche montre qu’une décentrali­sation est préférable. Si l’on est un des premiers chercheurs à travailler sur la blockchain, on sera l’un des pionniers. Chaque année depuis 2006, nous délivrons un prix au meilleur article de recherche écrit par un chercheur, non pas du SFI mais de l’ensemble du monde (Outstandin­g Paper Award). Le premier objectif était d’accroître notre visibilité. Cette année, c’est un travail de l’Université de Toulouse sur la blockchain.Il est vrai que certains chercheurs travaillen­t dans des programmes nationaux, par exemple sur la finance durable, et que des impulsions viennent parfois de la Confédérat­ion. Au départ le SFI s’est aussi bâti grâce à un centre national (NCCR-Finrisk).

François Degeorge: «Le Swiss Finance Institute est un partenaria­t public-privé probableme­nt unique au monde.» «L’investisse­ment dans la connaissan­ce et l’expertise est crucial pour la compétitiv­ité de la place financière»

Quels sont vos rêves à réaliser ces cinq prochaines années? J’aimerais faire en sorte que l’osmose entre l’activité académique du SFI et la place financière soit encore plus réalisée. Nous mettons en place différents canaux pour que les professeur­s puissent échanger avec les acteurs financiers et vice versa, et qu’ils communique­nt leurs travaux aux praticiens. Depuis un an, nous mettons l’accent sur l’activité de rapprochem­ent. Nous en verrons les effets bénéfiques ces prochaines années.

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