Le Temps

Le visage raisonnabl­e de la défense animale

MOUVEMENT POLITIQUE Une série d’initiative­s pour une alimentati­on végétale ou le bien-être animal éclosent en Suisse alémanique

- CÉLINE ZÜND, ZURICH @celinezund

Ils ont habitué le grand public aux images choc. Les mouvements de défense des animaux entendent bien faire parler d’eux au cours des prochains mois. Mais leur stratégie a changé. Pas de veillées nocturnes devant les abattoirs, de faux sang répandu ou de corps couchés en travers du passage pour dénoncer la mort animale. Les nouveaux groupes apparus récemment sur la scène politique alémanique privilégie­nt désormais les instrument­s de la démocratie directe et le débat pour se faire entendre. Avec ses militants jeunes et motivés, un argumentai­re bien rodé et l’envie d’en découdre, cette minorité bruyante aura-t-elle davantage d’impact?

Batailles locales

Les campagnes politiques des prochains mois le diront. Plusieurs initiative­s fleurissen­t, sur les plans local et fédéral, pour tenter d’influencer l’alimentati­on et le rapport aux bêtes de la population. A Bâle-Ville ce dimanche, les citoyens se prononcent sur le texte «Pour une alimentati­on durable», qui réclame aux autorités cantonales de promouvoir une nourriture végétale et d’introduire un menu végane dans les cantines des institutio­ns publiques (écoles, hôpitaux, etc.). Une propositio­n du laboratoir­e d’idées Sentience Politics, qui regroupe des jeunes militants de la société civile au profil universita­ire. A Bâle, la plupart des partis, hormis le PS et la gauche alternativ­e, rejettent ce texte sou- mis au vote. Les antispécis­tes recueillen­t le scepticism­e même de la part des Verts. «Leur propositio­n est trop univoque. On se focalise sur la viande, mais qu’en est-il de l’huile de palme ? Nous souhaitons privilégie­r une approche plus globale de l’alimentati­on», souligne le président des écologiste­s bâlois, Harald Friedl.

Le groupe Sentience Politics s’était déjà fait remarquer à Bâle avec son initiative «Pour des droits fondamenta­ux pour les primates», qui visait à inscrire dans la Constituti­on cantonale un droit à l’intégrité physique et psychique des singes. Avec comme but d’interdire les expérience­s sur ces animaux, notamment dans la branche pharmaceut­ique. Le texte avait été invalidé, au motif qu’il était anticonsti­tutionnel. A Zurich, leur initiative «Pour une alimentati­on durable», du même ordre que leur projet bâlois, avait conduit à l’élaboratio­n d’un contre- projet, approuvé par la population à 60% en novembre dernier.

L’affaire s’annonce plus corsée à Lucerne, où les réactions fusent contre leur initiative visant à introduire le soutien à une alimentati­on sans viande dans le règlement communal sur la politique du climat – là aussi avec menus véganes dans les cantines. Même le contre-projet de la Ville, qui prévoit plus vaguement «un soutien à une alimentati­on durable», va trop loin pour les partis bourgeois, qui ont saisi le référendum. Les détracteur­s du «nouveau politiquem­ent correct de l’alimentati­on» s’insurgent contre cette minorité (11% de végétarien­s et 3% de véganes en Suisse, selon les estimation­s de Swissveg). «Toujours plus d’initiative­s souhaitent nous dicter ce que nous devons manger, avec l’aide complaisan­te des apôtres rose-vert. Les temps de la moralisati­on des moeurs, que l’on croyait révolus, sont de retour! Rééducatio­n étatique au lieu du bon sens sain», s’énerve un candidat PLR aux élections zurichoise­s, dans un courrier de lecteurs.

«Plus de choix»

«Nous n’avons pas l’intention de réduire la liberté. Au contraire, nous souhaitons apporter davantage de choix aux individus en étoffant les menus», réagit Meret Schneider, 25 ans, à la tête du groupe Sentience Politics. La jeune femme, conseillèr­e communale verte à Uster (ZH), revendique la mission éducative du mouve- ment. «La plupart des gens ne savent pas comment les animaux ont vécu avant de finir en barquette. Qui sait qu’en Suisse, on peut élever 18 000 poulets au même endroit?» Végane depuis quatre ans, elle pense que les groupes écologique­s sous-estiment la question de l’alimentati­on dans le débat sur le changement climatique, «cause pourtant de 30 % des émissions globales de CO2». Meret Schneider se distancie des actions radicales des mouvements de défense des animaux. «A se montrer trop extrême, on court le risque de repousser les gens et de ne pas être pris au sérieux. Nous voulons amener le débat dans l’arène politique, calmement, et discuter avec tous les acteurs: politicien­s, producteur­s, grande distributi­on.»

Sentience Politics s’active déjà pour son prochain combat: une initiative fédérale pour abolir «l’élevage intensif», qui prévoit un «droit à l’animal» de ne pas vivre dans une exploitati­on visant la production «au détriment du bienêtre des bêtes». Le texte ne définit pas précisémen­t la notion d’élevage intensif, mais dit «s’orienter vers les critères de l’agricultur­e bio». La récolte de signatures commence au printemps. Jacques Bourgeois, directeur de l’Union suisse des paysans, ne voit dans cette initiative qu’une tentative d’une petite frange de la population d’imposer son mode de vie aux autres. «Nous avons déjà des prescripti­ons très strictes en comparai s o n i nternati o nal e e n matière de bien-être animal. Qui plus est, du point de vue écono- mique, imposer le bio pour tous conduirait à un déséquilib­re du marché et fragiliser­ait l’agricultur­e suisse.»

En attendant, d’autres projets en faveur de la cause animale pourraient donner du grain à moudre aux milieux économique­s et scientifiq­ues. Un comité saint-gallois issu de la société civile récolte en ce moment des signatures pour une initiative populaire visant l’interdicti­on totale de l’expériment­ation animale. Ils possèdent 14 000 paraphes sur les 100 000 qu’ils doivent rassembler d’ici à avril 2019. Sans compter Alliance animale suisse, qui compte l ancer une i nitiative populaire réclamant l’interdicti­on d’importer des produits comme le foie gras. La récolte des signatures débutera fin mars.

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