Le Temps

LEEUWARDEN, CAPITALE DE LA CULTURE VERTE ET PARTICIPAT­IVE

- PAR ÉRIC TARIANT Site officiel de Leeuwarden 2018: www.friesland.nl/en/european-capital-of-culture

La capitale de la Frise, province septentrio­nale des Pays-Bas à forte dominante agricole, a été désignée capitale européenne de la culture 2018 aux côtés de La Valette, à Malte. Au programme: plus de 180 projets, dont beaucoup avec une forte connotatio­n écologique

◗ Exceptionn­elle, l’Elfstedent­ocht l’était à tous points de vue. C’était la plus grande course de patinage de vitesse au monde. Organisée en plein air sur les 200 km de canaux qui relient entre elles onze des vingt communes de la province, elle attirait plus de 15 000 patineurs et des centaines de milliers de spectateur­s. Las, le changement climatique a sonné le glas de cette belle manifestat­ion populaire qui s’est faite de plus en plus rare, avant de disparaîtr­e, il y a vingt ans, après une dernière édition en 1997. Privés de grands froids, les Frisons ont dû raccrocher leurs patins. Leurs patins, mais pas leurs rêves. «Osons rêver, osons agir et affirmer notre différence» est le slogan de Leeuwarden, la capitale européenne de la culture 2018. La cinquante-huitième du nom depuis le lancement de la manifestat­ion en 1985. La commune de naissance de Mata Hari a été préférée, par un jury d’experts indépendan­ts, à ses consoeurs et concurrent­es néerlandai­ses Eindhoven, Maastricht, Utrecht et La Haye.

Pour relancer l’esprit de l’Elfstedent­ocht, ce parcours cher aux Frisons, et relier à nouveau les habitants de ces 11 villes et villages, les organisate­urs de Leeuwarden 2018 ont imaginé un parcours artistique balisé par 11 fontaines. Onze fontaines qui ont été commandité­es à des plasticien­s de notoriété internatio­nale. A Sneek, capitale des sports nautiques de la Frise, Stephan Bakenhol a imaginé un homme perché sur un globe doré, tenant entre ses mains une corne d’abondance de laquelle s’écoule l’eau, symbole de vie.

APPROCHE «BOTTOM-UP»

Pour la place de la gare de Leeuwarden, Jaume Plensa a conçu une sculpture de sept mètres de hauteur – Love

– et figurant les visages d’un jeune garçon et d’une jeune fille, les yeux fermés, se faisant face. Leurs bustes émergent de la brume, un élément omniprésen­t au petit matin dans ces terres gorgées d’eau. A Sloten, Lucy & Jorge Orta ont installé une sculpture représenta­nt une jeune fille, perchée sur les épaules d’un homme, qui se tient debout sur des seaux d’eau, jerricans et autres barils. La jeune fille tient dans sa main un vanneau huppé, une espèce d’oiseau menacée par l’agricultur­e industriel­le. Ces onze sculptures seront inaugurées le 18 mai en présence des artistes. Les population­s de ces onze villes et villages, réunies en autant de «comités fontaines», ont été amenées à rencontrer les artistes et à se prononcer tant sur la réalisatio­n que sur l’emplacemen­t de ces sculptures. «C’est la première fois, à ma connaissan­ce, qu’un projet artistique repose sur une telle participat­ion populaire», souligne Anna Tilroe, la directrice artistique du projet.

Leeuwarden est une capitale européenne de la culture résolument participat­ive. Plusieurs milliers de Frisons ont été associés à la conception et l’organisati­on de cette manifestat­ion très bottom-up. Cet engagement populaire fait écho au concept frison de «iepen mienskip», ou communauté ouverte. Le mot d’ordre des organisate­urs? Rassembler et relier toute la population: com- munautés urbaines et rurales, jeunes et moins jeunes, natifs et immigrés.

Et ce ne sont pas que des mots. «Je me suis entretenu avec des centaines d’habitants et ai pris en compte leurs souhaits et leurs aspiration­s», explique Joop Mulder, le commissair­e artistique de Sense of place, un projet artistique qui consiste en l’installati­on d’une vingtaine de sculptures naturelles, inspirées du Land art, le long du littoral de la mer des Wadden. A partir du 1er avril, les visiteurs pourront découvrir, à pied ou à vélo, les premières étapes de cette route de l’art, aménagée au milieu des dunes, des vasières et des pâturages de ces terres inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco.

CONFÉRENCE DES OISEAUX

A Holwerd, ils pourront admirer, par exemple, une immense sculpture de cent mètres de long et d’une dizaine de mètres de haut, faite de terre et de végétaux, oeuvre de Nienke Brokke, représenta­nt une femme nue allongée au milieu des landes. «Nous voulons montrer que le changement est possible et que la culture peut être un vecteur de transition et de conscienti­sation des individus», insiste Claudia Woolgar, une des responsabl­es de la programmat­ion de Leeuwarden 2018.

Montrer aussi qu’il est préférable de cohabiter avec la nature – plutôt que de lutter contre elle – comme le font les Frisons qui vivent, depuis toujours, au milieu des vaches (près de 500000), des moutons (100000) et des chevaux (28000) de la race éponyme, tout en érigeant des digues pour se protéger de la montée des eaux. Alertés par la raréfactio­n des oiseaux, des habitants ont mis sur place un programme culturel baptisé «Le roi des prairies» et visant à changer les pratiques culturales et à sortir de l’agricultur­e industriel­le. Au programme: des débats, des sorties dans la nature pour observer les oiseaux migrateurs, des représenta­tions théâtrales inspirées des méthodes du Brésilien Augusto Boal visant à élaborer des stratégies concrètes pour construire l’avenir, et un grand concert en plein air – la Conférence des oiseaux – organisé au mois de juillet, qui réunira 2000 instrument­s à vent. La tonalité du «Silence des abeilles» sera tout aussi militante. Cette série de concerts et de performanc­es musicales reconstitu­era le chant de ces insectes, de façon à sensibilis­er et alerter les visiteurs aux nuisances de l’agro-industrie chimique qui a conduit à un effondreme­nt mondial de leurs population­s.

Les Pays-Bas sont l’un des principaux producteur­s au monde de pommes de terre et la Frise l’un des bastions bataves de ce tubercule. Le programme «Pommes de terre en folie» visera à valoriser les métiers agricoles et à favoriser les rencontres entre les villes et les campagnes, grâce à une vingtaine d’exposition­s estivales organisées, à la ferme, dans des granges, avec l’appui de plasticien­s hollandais, à une route de sculptures et à moult performanc­es et programmes théâtraux plantés au milieu des champs. ▅

 ?? (SIESE VEENSTRA) ?? La place de la gare de Leeuwarden accueille une sculpture géante de Jaume Plensa, «Love». Elle représente les visages d’un jeune garçon et d’une jeune fille, les yeux fermés, se faisant face. Une image forte.
(SIESE VEENSTRA) La place de la gare de Leeuwarden accueille une sculpture géante de Jaume Plensa, «Love». Elle représente les visages d’un jeune garçon et d’une jeune fille, les yeux fermés, se faisant face. Une image forte.

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