SANGLANTE ÉQUIPÉE AU CAIRE
Dans «Le Caire, toile de fond», Parker Bilal part sur les traces d’un chef-d’oeuvre disparu. Une façon originale et surprenante de revenir sur les deux guerres du Golfe
◗ Les fans de Parker Bilal ne seront pas déçus. Dans
Le Caire, toile de fond, son quatrième polar paru en français, l’écrivain anglo-soudanais n’a rien perdu de son peps. Ils retrouveront avec bonheur Makana, son privé sympathique, courageux et complexe, fidèle à ses habitudes, à ses bistrots, à ses amis. Aussi épiques que cinématographiques, ses déplacements dans la capitale se font toujours sous la conduite virtuose de Sindbad, son chauffeur de taxi quasi attitré. Ayant dû abandonner provisoirement sa chère Datsun un peu fatiguée, ce dernier a reçu en prêt une Ford Thunderbird 1971 du plus bel effet. «Une espèce de baleine», «une relique d’un vert passé» qui a sans doute d’innombrables qualités, mais pas celle d’être discrète.
Un des intérêts de Parker Bilal – le pseudonyme «noir» de Jamal Mahjoub –, c’est qu’il date précisément ses polars. Une manière de les inscrire dans un temps et dans un contexte spécifiques. Une façon aussi de revenir et de réfléchir sur le passé proche. Le Caire, toile de fond commence en septembre 2004, soit dix-huit mois après l’invasion de l’Irak par la coalition menée par les Etats-Unis, dans «une ville préoccupée par la guerre». Et cette ville, Le Caire bien sûr, occupe plus que jamais une place centrale dans l’histoire.
Depuis Les Ombres du désert paru l’an dernier, et qui se déroulait en 2002, le privé Makana ne s’est guère enrichi. Il continue à vivre dans son awama, une fragile construction clouée sur un ponton flottant amarré au bord du Nil. Cet ex-policier soudanais réfugié au Caire pour fuir le régime semble plus que jamais hanté par son passé et par la culpabilité de n’avoir pas pu sauver de la mort sa femme et sa fille. Le voilà heureusement sollicité par un nouveau client, qui se montre d’emblée très généreux. Il est vrai que la mission s’annonce difficile et périlleuse.
IMPITOYABLE TORTIONNAIRE
Le riche marchand d’art Aram Kasabian charge Makana de retrouver Khadim al-Samari, un colonel irakien de la Garde républicaine, l’un des fugitifs les plus recherchés par les Américains. «Spécialiste de la torture » , ce haut gradé à la réputation d’homme impitoyable et cruel serait notamment en possession de La Tour des chevaux bleus de Franz Marc. Subtilisée par les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, cette oeuvre inestimable de l’expressionnisme allemand se serait retrouvée dans une collection privée du Koweït où Al-Samari l’aurait volée à l’époque de la première guerre du Golfe. Makana se trouve ainsi propulsé dans le milieu du commerce de l’art, un monde pour lui totalement inhabituel mais où les tueurs sans scru- pule sont aussi présents et actifs que dans les basfonds de la capitale.
Le tableau dont il est ici question existe vraiment. Ou du moins existait. Le dernier propriétaire connu de l’oeuvre n’était autre qu’Hermann Göring qui l’avait saisie pour enrichir sa collection personnelle. Depuis 1945, elle est restée introuvable, et donc classée disparue. L’idéal pour un auteur de polars qui se retrouve ainsi libre de fantasmer à sa guise pour offrir à l’oeuvre le destin de son choix – un procédé similaire a été utilisé par Zygmunt Miłoszewski dans son thriller Inavouable paru l’automne dernier (LT du 16.12.2017).
Dans Le Caire, toile de fond, le tableau de Franz Marc passe toutefois rapidement au second plan. C’est d’abord son potentiel propriétaire qu’il faut retrouver à tout prix. La traque, comme souvent chez Parker Bilal, vire par moments au rocambolesque. Pour pimenter l’intrigue, l’écrivain ne recule devant aucun subterfuge et s’autorise des rebondissements dignes des meilleurs James Bond. ▅