Le Temps

Juno dévoile les secrets de Jupiter

Des chercheurs ont enfin réussi à trancher un vieux débat en astrophysi­que. Les bandes de la plus grande planète du système solaire trouveraie­nt naissance 3000 kilomètres sous sa surface

- VAHÉ TER MINASSIAN

ESPACE Grâce aux données fournies par la sonde Juno, qui a radiograph­ié la plus grande planète du Système solaire, des chercheurs ont réussi à trancher un vieux débat en astrophysi­que. Les bandes de Jupiter trouveraie­nt naissance 3000 kilomètres en dessous de sa surface.

Monde surdimensi­onné d'un rayon de 71000 km et d'une masse représenta­nt, à elle seule, les deux tiers de celle de tous les objets célestes gravitant autour du Soleil, Jupiter est constituée à 90% d'hydrogène et d'hélium. Les images des sondes spatiales montrent que sa surface est organisée: on y distingue facilement une succession de «bandes» sombres et de «zones» claires correspond­ant à des régions de vents de régimes différents et de sens opposés. Ces structures colorées sont-elles superficie­lles, cantonnées aux plus hautes couches de l'atmosphère, ou s'étendent-elles en profondeur, loin dans le coeur de l'astre géant?

Comme un corps solide

Des chercheurs auraient réussi à trancher ce vieux débat de l'astrophysi­que dont l'enjeu est une meilleure compréhens­ion des mécanismes à l'oeuvre à l'intérieur des planètes géantes et gazeuses, des corps dont les conditions de formation et l'évolution sont encore mal connues. En effet, dans une série d'articles parus le 7 mars dans la revue Nature, ces scientifiq­ues expliquent avoir établi que les «bandes» et «zones» de Jupiter se prolongent au-dessous de la surface de l'astre, jusqu'à une profondeur de 3000 km. Ils affirment qu'au-delà de cette limite, le coeur de la planète tourne sur lui-même, à la manière d'un corps solide, alors qu'il est de nature fluide!

Pour aboutir à ces conclusion­s, l'équipe a exploité des données de Juno. Arrivée sur place le 4 juillet 2016 au terme de cinq années de voyage, cette sonde de la NASA se consacre exclusivem­ent à l'étude de Jupiter. Elle est surtout, si l'on excepte un bref survol effectué en 1992, le premier engin spatial de l'histoire à scruter la planète d'aussi près et hors de son plan équatorial.

Lancé dans un lancinant ballet cosmique, le vaisseau parcourt actuelleme­nt une série de 34 orbites qui le font passer, tous les 53 jours, à 10000 kilomètres au-dessus de chaque pôle. La planète tournant sur elle-même en dix heures environ, ces révolution­s successive­s lui ont permis de balayer toute la surface de l'astre. Et même de scruter, en se faufilant entre la surface et les dangereuse­s «ceintures» de radiation de Jupiter – où circulent des particules hautement énergétiqu­es –, ses régions équatorial­es à moins de 5000 km d'altitude.

Cartes précises

En plus de préciser sa compositio­n, d'établir sa teneur en eau et de révéler les caractéris­tiques de son champ magnétique, Juno a pour tâche de mesurer le champ gravitatio­nnel de Jupiter. Pour cela, les scientifiq­ues relèvent en permanence les accélérati­ons et décélérati­ons subies par la sonde, en analysant les variations de fréquence que ces dernières provoquent sur son signal radio. Ces changement­s de vitesse étant entre autres liés à la distributi­on des masses à l'intérieur de la planète, ils peuvent, au terme d'un calcul complexe, en déduire des cartes cent fois plus précises du champ de gravité de l'astre que celles disponible­s jusqu'ici.

Le résultat? Il serait surprenant. En effet, explique l'un des auteurs

Des pressions 100000 fois supérieure­s à celle de l’atmosphère terrestre

des articles de Nature, Tristan Guillot, directeur de recherche CNRS à l'Observatoi­re de la Côte d'Azur et co-investigat­eur de la mission Juno: «Ces cartes montrent une certaine asymétrie du champ de gravité entre l'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud.» Jupiter n'étant qu'une énorme boule de gaz en rotation sur elle-même, et étant donc dépourvue de structures massives et permanente­s comme un océan ou une montagne, la seule explicatio­n possible est que cette anomalie est due à des différence­s dans les régimes de vents entre le nord et le sud de l'astre. Or, pour que ces bourrasque­s aient mis en mouvement des masses de gaz suffisante­s pour modifier l'attraction gravitatio­nnelle de la planète, il faut qu'elles aient soufflé dans un volume très important de son atmosphère. Et par conséquent qu'elles aient été présentes en profondeur.

De 3600 à 0 km/h

En étudiant le champ de gravité de Jupiter par deux méthodes différente­s, puis en confrontan­t ces observatio­ns à des milliers de modèles mathématiq­ues, les chercheurs ont découvert que la vitesse de ces vents passe progressiv­ement, dans certaines régions, de 3600 km/h en surface à 0 km/h à 3000 km de profondeur. Au-delà de cette limite, l'hydrogène, soumis à des pressions infernales 100000 fois supérieure­s à celle de l'atmosphère terrestre, serait ionisé, provoquant l'apparition d'électrons et de protons qui, par des effets de friction, agiraient pour empêcher tout mouvement du gaz. La conséquenc­e de ce phénomène serait que le reste du coeur de Jupiter tournerait sur lui-même de manière uniforme, un peu comme une toupie de bois.

«Cette étude est admirable, non seulement par ce qu'elle apporte à la connaissan­ce de Jupiter, mais également en raison de ce qu'elle nous apprend sur les planètes géantes en général, estime Pierre Drossart, de l'Observatoi­re de Paris. Elle ouvre la voie à de nouveaux modèles qui nous permettron­t peut-être un jour de remonter l'histoire de la circulatio­n de l'atmosphère à l'intérieur de ces astres. Et qui sait quelles nouvelles révélation­s nous apportera encore la mission Juno?»

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 ?? (AFP PHOTO/NASA/HANDOUT) ?? «Nuages» proches du pôle Sud de Jupiter, photograph­iés le 28 février dernier par la sonde Juno.
(AFP PHOTO/NASA/HANDOUT) «Nuages» proches du pôle Sud de Jupiter, photograph­iés le 28 février dernier par la sonde Juno.

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