Le Temps

Simone Chapuis-Bischof, la lutte éternelle

- LT M.-P. G.

86 ans et toujours le même élan. La doyenne des féministes évoque son combat pour modifier les lois

Elle lutte depuis près de soixante ans. Simone Chapuis-Bischof, 86 ans et pas l’ombre d’un fléchissem­ent, a commencé son combat féministe lorsqu’elle a réalisé que sa première paie d’enseignant­e était inférieure de 30% à celle de son collègue masculin. «C’était en 1959. J’ai reçu 700 francs, lui 1000 francs, alors que nous faisions strictemen­t le même travail. J’ai vu rouge et j’ai rejoint entre autres l’Associatio­n vaudoise pour les droits des femmes (ADF), qui s’appelait encore l’Associatio­n pour le suffrage féminin à cette époque.»

C’est qu’en 1959, aucune femme suisse ne pouvait voter. Simone Chapuis-Bischof, Bâloise d’origine installée à Lausanne et récompensé­e par le canton de Vaud en 2015, a également embrassé cette cause avec ardeur. Et une fierté au compteur: «Grâce à l’esprit tactique d’Antoinette Quinche, grande féministe qui était mon modèle, les citoyennes vaudoises ont été les premières à obtenir le droit de vote cantonal.» Cette avocate a en effet eu l’idée ingénieuse de coupler un scrutin cantonal à la votation fédérale pour le droit de vote féminin qui se déroulait le 1er février 1959. Comme les Vaudois ont dit deux fois oui, les Vaudoises ont obtenu le suffrage cantonal, à défaut de son équivalent fédéral, qui, on s’en souvient, n’a passé qu’en 1971.

Avant, on changeait les lois

«Ce qui était très différent alors en matière d’équité des salaires, de droit de vote, de décriminal­isation de l’avortement ou encore d’assurance maternité, c’est qu’on luttait pour modifier les lois. Maintenant que les lois sont acquises, on se bat pour les faire appliquer. C’est une mobilisati­on plus diffuse et plus compliquée à mener.»

Comment les militantes se mobilisaie­nt-elles alors? «On s’appuyait sur la Constituti­on, qui disait que tous les citoyens suisses étaient égaux, et on menait des actions. Des manifestat­ions à Lausanne et à Berne, des lettres aux politicien­s, des débats, etc. Je revois mon fils qui dévalait les pentes à trottinett­e avec, sur son dos, des slogans en faveur du suffrage féminin!» Le combat battait le pavé, car il s’agissait de lui donner une visibilité. «Savez-vous que seules trois rues de Lausanne portent le nom d’une femme? C’est fou, non? Avec l’ADF, en 1991, lors de la grève des femmes, nous avons mené une opération durant laquelle nous avons recouvert les plaques existantes de noms de femmes illustres. Mon mari, qui était l’arrière-petit-fils de Charles Secrétan, un preux défenseur du suffrage féminin au XIXe siècle, m’a toujours soutenue et souvent accompagné­e.»

Eclatement de la mobilisati­on

On le voit, Simone a du tempéramen­t… Aujourd’hui, elle s’exaspère légitimeme­nt face à la frilosité des élus nationaux concernant l’égalité des salaires. Et elle s’étonne de l’éparpillem­ent des forces féministes. «Je me souviens du 8 mars 1996, où syndicats et mouvements féministes vaudois s’étaient retrouvés sur la place de la Palud pour clamer «les raisons de la colère». Une cinquantai­ne d’associatio­ns s’étaient réunies et chacune donnait son motif de contestati­on. C’était très fort. Cette année, il y a douze manifestat­ions différente­s dans le canton, sans compter des délégation­s qui partent à Berne pour remettre à Simonetta Sommaruga

«Maintenant que les lois sont acquises, on se bat pour les faire appliquer. C’est une mobilisati­on plus diffuse et plus compliquée à mener»

SIMONE CHAPUIS-BISCHOF

les signatures obtenues par les militantes suisses de la Marche mondiale des femmes, qui vise à soutenir les femmes et les enfants demandeurs d’asile. On fait moins front commun.»

Que pense d’ailleurs Simone Chapuis-Bischof des nouveaux féminismes romands, elle qui, dans la Maison de la Femme, à Lausanne, assure des permanence­s à la bibliothèq­ue Rosa Canina et documente la cause? «J’observe qu’ils sont plus ciblés et plus éphémères. Mais j’aime bien aussi certains mouvements coup-de-poing.»

#Balanceton­porc, trop délateur

En revanche, la militante apprécie peu le hashtag #Balanceton­porc. «Je ne cautionne pas cet intitulé vulgaire et surtout son côté délateur. C’est peut-être faux, mais il me semble que #MeToo remplit mieux son rôle de libérateur de la parole, sans forcément pointer de coupables…»

On doit laisser Simone Chapuis-Bischof, car, à 86 ans, elle court assister à une conférence sur le tabou des règles. Juste un mot encore. Est-elle optimiste concernant l’avenir du féminisme ou craintelle un retour de balancier lié à la régression économique? «Non, il y a bien deux, trois excités qui veulent nous renvoyer aux fourneaux, mais la tendance va se poursuivre vers plus d’égalité. Quand je vois tous ces pères qui poussent des poussettes dans la rue et langent leur bébé, j’ai une pensée pour mon mari, qui, dans les années 60, figurait parmi les rares à pouponner!»

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