Le Temps

«Le féminisme améliore aussi la vie quotidienn­e des hommes»

- RECUEILLIS PAR M.-P. G. PROPOS Petit Guide du féminisme pour les hommes, Jérémy Patinier, Ed. Textuel, Paris, 2018.

Ces jours paraît le «Petit Guide du féminisme pour les hommes», un ouvrage qui montre, entre autres, que les mâles sortent gagnants du combat contre le patriarcat. Entretien avec son auteur, le journalist­e Jérémy Patinier

Le titre est modeste. L’ouvrage de Jérémy Patinier, destiné aux hommes qui souhaitent s’initier au féminisme, est loin d’être petit. Sur 240 pages, le journalist­e raconte de manière aussi efficace que joyeuse les combats déjà menés et les progrès à accomplir en vue de l’égalité entre les sexes et la promotion du respect. C’est le premier guide sur ce sujet écrit par un homme pour des hommes et il se lit comme un roman. Exposé des différents féminismes, historique du mouvement, état des lieux de la condition féminine: la première partie (re)situe la problémati­que. Pour mieux ensuite insérer le sujet masculin dans le tableau. Avec ce constat qui ne surprend qu’à moitié: le mâle a tout à gagner dans la déconstruc­tion du patriarcat. Et encore, si on aime tant cet ouvrage, c’est qu’il alterne les passages sérieux avec des quiz, des questionna­ires introspect­ifs, des jeux.

Pourquoi ce guide du féminisme pour les hommes? Parce que le sexisme est partout. En tant qu’homme, je constate chaque jour mes privilèges: je suis mieux payé que mes collègues féminines, je ne suis pas importuné dans le bus et je ne ploie pas sous la fameuse charge mentale, vous savez ce souci de logistique qui, dans les familles ou sur les lieux de travail, revient immanquabl­ement aux femmes. Par ailleurs, en tant qu’homosexuel assumé depuis assez jeune, j’ai appris à déconstrui­re les clichés liés à la masculinit­é. Je me suis dit que je pouvais faire profiter de cette double expérience mes «semblables».

Mais vous vous adressez bien à tous les hommes, hétéros compris? Oui, et en interrogea­nt ces hommes hétéros qui avaient embrassé la cause féministe, j’ai découvert qu’ils ont tout à gagner à mieux considérer les femmes et le féminin.

C’est-à-dire? Quand, dans une famille, un père accomplit spontanéme­nt 50% des tâches domestique­s et organise les week-ends à la campagne ou les allers-retours au foot, sa femme est plus détendue et le couple va mieux. De plus, ce père impliqué améliore le lien avec ses enfants. Il peut les éduquer sans ces stéréotype­s qui dévalorise­nt le féminin. Cela fait des individus plus structurés et plus forts, contrairem­ent à ce que l’on croit, car on ne leur impose pas des modèles inatteigna­bles.

Ce sont donc surtout les pères qui tirent avantage de cette égalité? Pas seulement. Je cite une étude qui va contre l’idée que compagne féministe = guerre des sexes à la maison. Lorsqu’il y a plus de respect entre les partenaire­s, il y a aussi plus de stabilité et plus de satisfacti­on sexuelle. Dans Une Pensée en mouvement, Françoise Héritier explique cette améliorati­on par le fait que les hommes qui prônent l’égalité expriment mieux leur part dite «féminine» et leurs émotions. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, l’homme féministe est aussi généraleme­nt plus… «écolo-friendly». Le souci de l’environnem­ent est devenu, sans trop savoir pourquoi, un marqueur féminin, rejeté par les tenants d’une virilité exacerbée. Le féminisme au masculin, c’est donc aussi un bienfait pour la planète!

Et si l’homme est célibatair­e? Là, c’est de son propre masque qu’il se libérera. Des études assez stupéfiant­es dévoilent que lorsqu’on demande à un homme ou à une femme de décrire la masculinit­é ou la féminité, 90% ne se reconnaiss­ent pas dans ces descriptio­ns caricatura­les. Les gens tentent de se conformer à des modèles imposés et, forcément, souffrent, consciemme­nt ou non, du hiatus. S’ouvrir à la cause des femmes permet à l’homme de faire tomber les mythes, les mensonges qu’on nous inculque depuis toujours. Il faut le dire et le redire: le féminisme n’est pas une lutte contre l’homme, mais contre le patriarcat.

Et que faites-vous des différence­s physiologi­ques souvent invoquées pour justifier les distinctio­ns entre les genres? Déjà, il a été prouvé que si les femmes ont toujours été moins charpentée­s que les hommes, c’est en partie à cause de leur nourriture qui traditionn­ellement a été moins riche. Aujourd’hui que les apports nutritionn­els sont identiques, on constate que les jeunes femmes sont plus fortes, plus solides. Ensuite, et surtout, les différence­s biologique­s ne doivent pas entraîner une hiérarchis­ation entre les genres. Différents, oui, pas supérieurs pour autant.

«Il faut le dire et le redire: le féminisme n’est pas une lutte contre l’homme, mais contre le patriarcat»

Dans le guide, vous évoquez les précurseur­s du féminisme, parmi lesquels figurent Montaigne et Montesquie­u… Oui, et surtout Condorcet, au XVIIIe siècle. Tous ont plaidé pour une égalité entre les hommes et les femmes à contre-courant avec la pensée alors dominante. Les propos de Proudhon, preux défenseur des ouvriers et fondateur de l’anarchie? «Une femme qui exerce son intelligen­ce devient laide, folle et guenon […] Si ta femme te résiste, il faut l’abattre à tout prix», écrit-il en 1875. Sans commentair­e.

Que pensez-vous de l’engouement actuel pour le féminisme, devenu en quelque sorte le «nouveau cool» depuis l’affaire Weinstein et le mouvement ≠MeToo? Je pense que c’est tout sauf artificiel et opportunis­te. Le féminisme connaissai­t un élan ascendant ces dernières années et l’affaire Weinstein a été l’étincelle qui a permis à cet élan de s’imposer largement. La parole avait besoin d’être libérée, maintenant, il faut agir pour asseoir les idées d’égalité et de respect. D’ailleurs, je ne crois pas que tous les hommes, qui ont des privilèges et du pouvoir à perdre, trouvent ce mouvement cool. Là, il y a encore beaucoup de travail à faire!

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