Le Temps

Eléonore Varone, la puissance de l’indépendan­ce

- M.-P. G.

Elle lutte pour le droit des femmes à travers des formes artistique­s. A 30 ans, cette historienn­e de l’art veille à pratiquer le féminisme au quotidien

Elle fait partie des Indociles, mais Eléonore Varone, 30 ans, a la voix douce et l’accès facile. Les Indociles? C’est une associatio­n romande composée de jeunes militantes qui, depuis 2014, puisent dans l’art pour irriguer leur combat féministe. A leur actif, un faux téléjourna­l, des vidéos critiquant l’action d’un conseiller d’Etat, un poème dada pour Le Temps et, ces derniers mois, une conférence-performanc­e qui tourne en Suisse romande et interroge le corps dans l’espace public, en dénonçant notamment le caractère sexiste des affiches publicitai­res. «Nous voulons sortir des salons. Aller dans les classes, les théâtres, les festivals avec des formes qui mêlent art et débat», explique la collaborat­rice scientifiq­ue au Centre d’art contempora­in d’Yverdon-les-Bains. Avant de préciser que, contrairem­ent aux féminismes historique­s, les Indociles ne dispense pas une seule ligne commune, mais propose plusieurs voix individuel­les.

Ce 8 mars est-il pour Eléonore Varone comme les 8 mars précédents, ceux d’avant l’affaire Weinstein et de la libération de la parole des femmes? «C’est sûr que le changement des derniers mois n’est pas anodin. Je sens que mes ami(e)s sont plus concerné(e)s maintenant. Cet effet de mode dont bénéficie le féminisme me fait d’ailleurs un peu peur. Il faudra bien veiller à ce que cet engouement ne soit pas éphémère», observe la Lausannois­e d’adoption. Idem pour Balanceton­porc, le site ouvert aux victimes de harcèlemen­t sexuel: «Je trouve très important qu’il existe une plateforme pour que chacun(e) puisse déposer des témoignage­s qui n’étaient pas révélés avant, mais il faudra que ces témoignage­s soient suivis d’un combat juridique, sinon je crains que l’effet ne s’efface.»

Ses deux grands-mères pour guides

Eléonore est devenue féministe en écoutant ses grands-mères, toutes deux coiffeuses, qui ont vécu dans l’ombre de leur époux. «En parlant avec elles, adolescent­e, j’ai réalisé qu’elles avaient beaucoup à dire, mais qu’elles étaient toujours restées discrètes, en retrait. J’ai trouvé ça très injuste, ce couvercle mis sur leur tête, ainsi que leur dépendance financière, et me suis toujours juré de défendre l’autonomie financière ainsi que la mise en avant des femmes les plus ostracisée­s.»

Dans sa vie quotidienn­e, la jeune femme «ne laisse rien passer». «Quitte à être pénible, je reprends les gens autour de moi qui font des blagues sexistes, utilisent des termes infantilis­ants, comme Mademoisel­le, ma petite, etc. Je milite aussi pour que mes amis masculins prennent à leur compte la charge mentale dévolue aux femmes et lavent le sol à quatre pattes, s’il faut vraiment frotter. En cela, ils donneront l’exemple à leurs enfants. Trop souvent, le féminisme est une déclaratio­n d’intention qui ne prend pas effet dans la réalité.»

Ne pas oublier la marge

L’historienn­e de l’art est optimiste pour l’avenir. Des lignes ont bougé qui ne reviendron­t jamais au stade antérieur, dit-elle. «Mais, dans ce combat, il ne faut pas oublier les femmes des marges, les migrantes, travailleu­ses au noir, musulmanes, etc., qui sont moins protégées que nous. Je souhaite que les marges se déplacent vers le centre.» A ce propos, quelle est sa position concernant le port du voile? «Je sais que la question est délicate, car des militantes arabes laïques aimeraient qu’on soutienne leur lutte pour l’abolition, mais je pense que c’est aux femmes musulmanes de créer le débat. Porter le voile doit être traité comme une question de liberté individuel­le.»

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(PASCAL MORA)
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