Soldats grecs arrêtés en Turquie au pire moment
Une patrouille à la recherche de clandestins aurait perdu son chemin en raison du mauvais temps. Athènes soupçonne Ankara de vouloir l’utiliser comme monnaie d’échange
Il n’y aurait pas de «thriller politique sans fin» entre la Grèce et la Turquie, selon Dimitris Tzanakopoulos, le porte-parole du gouvernement grec. Pourtant, l’affaire figure à la une des journaux depuis plusieurs jours. Elle débute le vendredi 2 mars avec l’arrestation de deux soldats grecs par l’armée turque. Selon l’état-major grec, les deux hommes patrouillaient par mauvais temps à la frontière gréco-turque quand ils auraient pénétré de quelques mètres sur le territoire turc. Cette zone frontalière est réputée pour être un point de passage de clandestins. Ils étaient, indique le Ministère grec de la défense, sur un itinéraire balisé et pistaient migrants et trafiquants. Athènes a immédiatement demandé leur libération à Ankara. Mais lundi, un tribunal turc a décidé de les maintenir sous les verrous.
En Grèce, la décision a suscité des critiques des médias et de l’opposition. «Tout le monde parle d’un piège», explique le quotidien Ta Néa. Le quotidien Kathimérini affirme que «la Turquie fait pression sur la Grèce». «Il faut agir avec prudence et patience», aurait expliqué Alexis Tsipras, le premier ministre grec, selon une source présente à la réunion interministérielle convoquée en urgence le mardi 6 mars. Et le quarantenaire à la tête du gouvernement aurait ajouté: «Tôt ou tard, la Turquie va comprendre que la moindre tentative de manipuler un incident frontalier ordinaire est vaine et ne se fera qu’à son détriment.» En outre, Alexis Tsipras aurait eu une conversation téléphonique avec le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, pour évoquer le sort des deux soldats, ainsi que les évolutions récentes dans la région.
Les relations entre la Grèce et la Turquie, toutes deux membres de l’OTAN, se sont tendues depuis plusieurs mois. Une des pommes de discorde est le refus d’Athènes d’extrader huit officiers turcs qui ont trouvé refuge en Grèce au lendemain du coup d’Etat manqué en Turquie en juillet 2016. Certains observateurs grecs estiment que les deux prisonniers ne recouvreront leur liberté que si Athènes et Ankara consentent à un échange de prisonniers.
Une «bombe géopolitique»
En outre, l’évolution du voisin turc inquiète en Grèce. Ainsi, le 26 février, Kathimérini titrait: «La Turquie, une bombe géopolitique» et soulignait les «méthodes de pirates» utilisées par le président turc, Recep Tayyip Erdogan. En cause: les violations des espaces maritimes et aériens grecs, en hausse depuis un an. Il y a quinze jours, un patrouilleur turc a ainsi percuté un navire grec près d’Imia, un îlot inhabité mais disputé en mer Egée orientale. Récemment, le président turc a invoqué les «droits inaliénables» de la communauté chypriote turque de l’île divisée sur ses ressources naturelles au sujet de l’exploitation du gaz dans les eaux chypriotes, dans l’est de la Méditerranée. Les Turcs ont même menacé de faire couler le navire de forage Saipem 12000 de la firme italienne ENI, qui s’apprêtait à entamer ses explorations dans les eaux chypriotes.
La question des frontières revient également sur le tapis. Ainsi, au Forum de Delphes, un haut responsable politique turc expliquait: «Les Grecs parlent de violation de l’espace maritime ou aérien. Mais tout dépend de la lecture des traités internationaux. Nous n’en avons pas la même qu’eux.» Le traité ciblé est celui signé en 1923 à Lausanne. Il définit les frontières actuelles en Europe et au Moyen-Orient. En visite en Grèce, début décembre 2017, le président turc en avait demandé «la révision». Le «thriller politique» pourrait devenir géopolitique dans une région déjà fortement déstabilisée.
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