L’ONU met l’Europe en garde contre ses dérives populistes
Le haut-commissaire aux Droits de l’homme, Zeid Ra’ad al-Hussein, a livré mercredi un discours très personnel qui révèle une crainte: que les démocraties oublient les leçons de la Deuxième Guerre mondiale
Trois jours après le succès tonitruant de la Lega et du Mouvement 5 étoiles lors des législatives en Italie, le haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme a livré un discours sans concession sur les dangers que posent les populismes et l’extrême droite pour la démocratie. Lors de l’une de ses dernières interventions devant le Conseil des droits de l’homme avant qu’il ne quitte son poste à la fin août, Zeid Ra’ad al-Hussein ne s’est une nouvelle fois pas caché derrière les formules creuses.
De façon quasi scientifique, il a martelé le fait que tous les êtres humains ont un ADN identique à 99,9%. La couleur de la peau, la race, l’ethnie et le genre ne sont des attributs qui «ne s’ajoutent qu’après l’acquisition par chacun de ses droits humains». C’est l’essence même de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les manifestations de haine qui prolifèrent proviennent de gens qui se focalisent sur les différences. Cette diabolisation de la différence n’est rien de moins qu’une «invitation à l’autodestruction de l’humanité», déplore-t-il.
Parlements noyautés
«Plus de deux tiers des parlements nationaux au sein des Etats membres de l’Union européenne comprennent des partis politiques adoptant des positions extrêmes sur la question des migrants, des musulmans et d’autres communautés minoritaires», selon le haut-commissaire, qui ajoute: «Ce discours basé sur le racisme, la xénophobie et l’incitation à la haine a pris une telle ampleur qu’il domine la scène politique de plusieurs pays», l’Italie et l’Allemagne, à travers le parti Alternative für Deutschland, en étant deux récents exemples.
On est loin de l’époque où, en 2000, l’Union européenne, dans un geste sans précédent, sanctionnait l’Autriche pour dénoncer l’entrée, à travers le Parti de la liberté de Jörg Haider, de l’extrême droite au gouvernement. Le populisme et l’extrême droite tendent à s’institutionnaliser. Zeid Ra’ad al-Hussein s’alarme des mesures que le gouvernement autrichien, composé du parti du défunt Haider et du jeune Sebastian Kurz, entend prendre pour fermer associations, écoles et lieux de prière musulmans. Il dénonce aussi la criminalisation des migrants illégaux et l’approche extrêmement restrictive des questions d’intégration et de citoyenneté.
Cette diabolisation de la différence n’est rien de moins qu’une «invitation à l’auto-destruction de l’humanité»
ZEID RA’AD AL-HUSSEIN
A propos de la Hongrie du premier ministre Viktor Orban dont il réprouve régulièrement les dérives, il l’avoue: «Je suis choqué par le mépris envers les migrants et les droits de l’homme, exprimé par des responsables du gouvernement.»
Le Jordanien, qui a abandonné son titre de prince pour mieux exercer sa présente fonction, critique avec véhémence les propositions visant à contraindre toute organisation de la société civile hongroise aidant les migrants à demander une autorisation gouvernementale spéciale. Le patron du haut-commissariat dénonce la passivité de Varsovie pour condamner les crimes et discours haineux contre les minorités. Mais aussi la récente loi condamnant jusqu’à 3 ans de prison les citoyens qui se référeraient aux camps de concentration nazis comme étant «polonais». La République tchèque n’est pas épargnée par les foudres du haut-commissaire envers la ségrégation dont sont victimes les enfants roms. Il insiste d’ailleurs pour exiger des compensations pour les milliers de femmes, avant tout roms, «stérilisées de force entre les années 1960 et 2004».
Mandela, boussole morale
L’une des boussoles morales du haut-commissaire est Nelson Mandela, dont le centenaire de la naissance vient d’être célébré. Pour lui, les politiques ne mériteront le «respect global» que lorsqu’ils commenceront à suivre l’exemple de l’icône sud-africaine. Un Mandela qui tranche avec ces «politiciens à la vision étroite» dont la nature autoritaire, le manque d’humanité et de réflexion poussent à «attiser les divisions et l’intolérance dans le seul but d’assouvir leur ambition politique».
Zeid Ra’ad al-Hussein ne se prive pas de brandir les noms des Etats qui bafouent les droits de l’homme. Il va même plus loin en nommant les politiques et chefs de gouvernements eux-mêmes. Pour l’institution installée dans le Palais Wilson à Genève, c’est un changement de ton considérable entamé certes sous l’ex-haut-commissaire Navi Pillay. Motif de cette véhémence: la montée de l’autoritarisme ébranle Zeid Ra’ad al-Hussein.
Docteur en philosophie, expert de la justice pénale, le Jordanien s’est beaucoup intéressé au procès de Nuremberg et aux origines du nazisme. Sa crainte: qu’on jette aux oubliettes les leçons de la Deuxième Guerre mondiale. C’est animé par cette crainte insistante qu’il avait déjà livré un discours puissant lors du gala de la Peace, Justice and Security Foundation de La Haye en août 2016. Noeud papillon et costume noir, il avait mis en garde sans ménagement les démagogues, le leader de l’extrême droite néerlandaise Geert Wilders, le candidat Donald Trump et Viktor Orban ainsi que Nigel Farage et Marine Le Pen. Son allocution à peine terminée, un bref silence de surprise s’était emparé de l’assistance avant que celle-ci ne lui réserve une standing ovation.
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