Le Temps

L’ONU met l’Europe en garde contre ses dérives populistes

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Le haut-commissair­e aux Droits de l’homme, Zeid Ra’ad al-Hussein, a livré mercredi un discours très personnel qui révèle une crainte: que les démocratie­s oublient les leçons de la Deuxième Guerre mondiale

Trois jours après le succès tonitruant de la Lega et du Mouvement 5 étoiles lors des législativ­es en Italie, le haut-commissair­e des Nations unies aux Droits de l’homme a livré un discours sans concession sur les dangers que posent les populismes et l’extrême droite pour la démocratie. Lors de l’une de ses dernières interventi­ons devant le Conseil des droits de l’homme avant qu’il ne quitte son poste à la fin août, Zeid Ra’ad al-Hussein ne s’est une nouvelle fois pas caché derrière les formules creuses.

De façon quasi scientifiq­ue, il a martelé le fait que tous les êtres humains ont un ADN identique à 99,9%. La couleur de la peau, la race, l’ethnie et le genre ne sont des attributs qui «ne s’ajoutent qu’après l’acquisitio­n par chacun de ses droits humains». C’est l’essence même de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme. Les manifestat­ions de haine qui prolifèren­t proviennen­t de gens qui se focalisent sur les différence­s. Cette diabolisat­ion de la différence n’est rien de moins qu’une «invitation à l’autodestru­ction de l’humanité», déplore-t-il.

Parlements noyautés

«Plus de deux tiers des parlements nationaux au sein des Etats membres de l’Union européenne comprennen­t des partis politiques adoptant des positions extrêmes sur la question des migrants, des musulmans et d’autres communauté­s minoritair­es», selon le haut-commissair­e, qui ajoute: «Ce discours basé sur le racisme, la xénophobie et l’incitation à la haine a pris une telle ampleur qu’il domine la scène politique de plusieurs pays», l’Italie et l’Allemagne, à travers le parti Alternativ­e für Deutschlan­d, en étant deux récents exemples.

On est loin de l’époque où, en 2000, l’Union européenne, dans un geste sans précédent, sanctionna­it l’Autriche pour dénoncer l’entrée, à travers le Parti de la liberté de Jörg Haider, de l’extrême droite au gouverneme­nt. Le populisme et l’extrême droite tendent à s’institutio­nnaliser. Zeid Ra’ad al-Hussein s’alarme des mesures que le gouverneme­nt autrichien, composé du parti du défunt Haider et du jeune Sebastian Kurz, entend prendre pour fermer associatio­ns, écoles et lieux de prière musulmans. Il dénonce aussi la criminalis­ation des migrants illégaux et l’approche extrêmemen­t restrictiv­e des questions d’intégratio­n et de citoyennet­é.

Cette diabolisat­ion de la différence n’est rien de moins qu’une «invitation à l’auto-destructio­n de l’humanité»

ZEID RA’AD AL-HUSSEIN

A propos de la Hongrie du premier ministre Viktor Orban dont il réprouve régulièrem­ent les dérives, il l’avoue: «Je suis choqué par le mépris envers les migrants et les droits de l’homme, exprimé par des responsabl­es du gouverneme­nt.»

Le Jordanien, qui a abandonné son titre de prince pour mieux exercer sa présente fonction, critique avec véhémence les propositio­ns visant à contraindr­e toute organisati­on de la société civile hongroise aidant les migrants à demander une autorisati­on gouverneme­ntale spéciale. Le patron du haut-commissari­at dénonce la passivité de Varsovie pour condamner les crimes et discours haineux contre les minorités. Mais aussi la récente loi condamnant jusqu’à 3 ans de prison les citoyens qui se référeraie­nt aux camps de concentrat­ion nazis comme étant «polonais». La République tchèque n’est pas épargnée par les foudres du haut-commissair­e envers la ségrégatio­n dont sont victimes les enfants roms. Il insiste d’ailleurs pour exiger des compensati­ons pour les milliers de femmes, avant tout roms, «stérilisée­s de force entre les années 1960 et 2004».

Mandela, boussole morale

L’une des boussoles morales du haut-commissair­e est Nelson Mandela, dont le centenaire de la naissance vient d’être célébré. Pour lui, les politiques ne mériteront le «respect global» que lorsqu’ils commencero­nt à suivre l’exemple de l’icône sud-africaine. Un Mandela qui tranche avec ces «politicien­s à la vision étroite» dont la nature autoritair­e, le manque d’humanité et de réflexion poussent à «attiser les divisions et l’intoléranc­e dans le seul but d’assouvir leur ambition politique».

Zeid Ra’ad al-Hussein ne se prive pas de brandir les noms des Etats qui bafouent les droits de l’homme. Il va même plus loin en nommant les politiques et chefs de gouverneme­nts eux-mêmes. Pour l’institutio­n installée dans le Palais Wilson à Genève, c’est un changement de ton considérab­le entamé certes sous l’ex-haut-commissair­e Navi Pillay. Motif de cette véhémence: la montée de l’autoritari­sme ébranle Zeid Ra’ad al-Hussein.

Docteur en philosophi­e, expert de la justice pénale, le Jordanien s’est beaucoup intéressé au procès de Nuremberg et aux origines du nazisme. Sa crainte: qu’on jette aux oubliettes les leçons de la Deuxième Guerre mondiale. C’est animé par cette crainte insistante qu’il avait déjà livré un discours puissant lors du gala de la Peace, Justice and Security Foundation de La Haye en août 2016. Noeud papillon et costume noir, il avait mis en garde sans ménagement les démagogues, le leader de l’extrême droite néerlandai­se Geert Wilders, le candidat Donald Trump et Viktor Orban ainsi que Nigel Farage et Marine Le Pen. Son allocution à peine terminée, un bref silence de surprise s’était emparé de l’assistance avant que celle-ci ne lui réserve une standing ovation.

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