Le Temps

Djihadisme à la française, acte III

- RICHARD WERLY @LTwerly

Le titre de son livre a forgé un terme emblématiq­ue. Dans Les Revenants (Ed. du Seuil) publié en 2016, David Thomson racontait le destin de ces Français djihadiste­s hantés par l’islam meurtrier qui les a transformé­s. Or, deux ans plus tard, alors qu’Emmanuel Macron a lui-même promis, en janvier, «la fin de la guerre contre les terroriste­s en Syrie» pour ce printemps, cette notion de «revenants» n’a rien perdu de son acuité. Après l’acte I que fut leur départ pour les rangs de Daech, et l’acte II marqué par leur participat­ion directe ou indirecte au combat et aux attentats perpétrés dans l’Hexagone, le temps de l’acte II est celui de leur disparitio­n, de leur détention ou de leur retour.

Avec cette question: sont-ils tous irrécupéra­bles? Gardent-ils tous ancrés en eux cette haine de la France qui les a souvent vus grandir? Et justifient-ils l’utilisatio­n, par les services de renseignem­ents français, des moyens les plus expéditifs pour leur interdire tout rapatrieme­nt en dépit de leur nationalit­é?

Un autre livre, très fouillé et éclairant, apporte une contributi­on à ce débat de société. L’Histoire secrète du djihad (Ed. Flammarion), de notre ancien collaborat­eur Lemine Ould M. Salem, revient aux sources de l’explosion de violence islamique qui secoue la planète depuis les années 80. Lors de longs entretiens-confession­s avec Abou Hafs, un prêcheur mauritanie­n qui fut le numéro trois d’Al-Qaida et un proche conseiller d’Oussama ben Laden, le journalist­e déjà coauteur du film Salafistes, montre combien l’enracineme­nt idéologiqu­e de cette «guerre sainte» est à la fois profond et conjonctur­el.

Profond, parce que les théoricien­s de la guerre islamique contre l’Occident, comme Abou Hafs, ont su répondre à une indéniable soif identitair­e de génération­s de jeunes musulmans européens rendus perméables à la violence par leurs colères et leurs frustratio­ns.

Or la force de ce discours, aussi haineux et caricatura­l soit-il, ne s’effondrera pas avec la défaite militaire de Daech dans le désert syrien ou irakien, où plus de 300 djihadiste­s français auraient trouvé la mort depuis 2014, selon des informatio­ns publiées ces jours. Au contraire: la défaite a souvent, pour les survivants, un goût de martyre. Lemine Ould M. Salem le démontre en écoutant Abou Hafs, aujourd’hui étrangemen­t protégé par les autorités mauritanie­nnes pourtant en guerre contre les terroriste­s au Sahel: chez la plupart des ex-cadres d’Al-Qaida et de Daech, la folle ambition du «califat» demeure intacte.

Une autre leçon apparaît toutefois à la lecture du livre de notre confrère: celle du moteur conjonctur­el de ce djihad meurtrier. Sans argent (merci aux pétrodolla­rs amassés par les oligarques du golfe Persique), sans l’appui de structures para-étatiques (l’ancienne armée de Saddam Hussein en Irak) ou carrément d’Etats à part entière (le rôle trouble de l’Iran revient sans cesse), et surtout sans le vide idéologiqu­e dévastateu­r engendré par l’effondreme­nt du nationalis­me laïc arabe, la folie djihadiste n’aurait pas fait de tels ravages.

Lemine Ould M. Salem explique notamment combien l’idéologie semée par les Frères musulmans, apparus dans les quartiers français au milieu des années 90, s’est peu à peu transformé­e en champ de mines. Le vide associatif, après les grands moments de l’antiracism­e des années 80, ne demandait qu’à se remplir. La porte de l’enfer s’est ouverte et l’étau familial, ou parfois mafieux, a fait le reste, poussant dans les bras des recruteurs des jeunes fanatisés par des «grands frères»…

Ce sont ces entrelacs familiaux, sociaux, éducatifs, qui se retrouvent aujourd’hui au coeur de l’acte III du djihadisme à la française. Avec une exigence: ne pas mettre tous les «revenants» dans le même sac. Et savoir, surtout, dénouer les fils de chaque itinéraire. Qui se souvenait, par exemple, que le vétéran et meurtrier Sabri Essid, originaire de Toulouse et récemment exécuté en Syrie, était lié par alliance avec la famille de l’autre Toulousain Mohamed Merah, auteur des attentats de mars 2012, dont le frère vient d’être condamné à 20 ans de détention?

Aussi semblables soient-ils, ces «revenants» ont tous des parcours particulie­rs qu’il faut aujourd’hui disséquer pour comprendre. Tel est aujourd’hui, en plus des obligation­s sécuritair­es, l’impératif dans un pays comme la France: comprendre les engrenages personnels qui conduisire­nt aux actes I et II. Pour espérer endiguer, demain, la dangerosit­é de l’acte III et des actes suivants.

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