Portails d’emploi dans la spirale numérique
La recherche d’emploi en Suisse se fait de plus en plus sur Internet. Le marché évolue constament et il n’est pas sûr qu’il existe encore sous sa forme actuelle dans cinq ans.
Alors que les segments spécialisés du recrutement de cadre et du travail temporaire comptent désormais chacun une centaine d’entreprises sur un marché très fragmenté, de nombreux regroupements de portails emploi ont déjà eu lieu depuis longtemps. Depuis cinq ans, c’est JobCloud AG, une société commune aux entreprises de médias Ringier (co-actionnaire du Temps avec Axel Springer) et Tamedia, qui domine. Ses deux principaux portails, Jobs.ch et Jobup.ch – consacré à la Suisse romande –, sont des pionniers sur le marché d’Internet.
Au moment de sa création, au tournant du millénaire, les nouveaux prestataires se bousculaient au portillon. Décrire le processus de concentration jusqu’à la situation actuelle serait assez fastidieux. Notons tou- tefois que des acteurs étrangers comme Tiger Global et Xing ont temporairement suivi la piste de l’empire JobCloud actuel. La situation est claire depuis 2012, date à laquelle les rivaux Ringier et Tamedia se sont unis. Outre les principaux portails Jobs.ch et Jobup.ch, l’univers JobCloud comprend Jobscout.ch et les portails pour cadres Alpha.ch et Topjobs.ch. Il y a aussi les plateformes spécialisées comme Job4sales, Financejobs, INGJobs, MedTalents ou Ictcareer pour les métiers de la vente, de la finance et de la banque, de l’ingénierie, de la santé et des soins ou encore des TIC, sans oublier Jobsuchmaschine.ch.
Le leader du marché emploie 180 personnes et agit avec efficacité et succès. «Nos clients, environ 30 000 par an, recommandent nos portails dans 9 cas sur 10 sans réserve», explique le CEO Renato Profico. En réalité, le taux de réussite avoisine les 80%. Ce qui signifie que quatre mises au concours sur cinq mènent effectivement au recrutement. Le principal concurrent de JobCloud sur le marché suisse est l’américain Indeed, numéro un mondial. Par l’intermédiaire de sa filiale suisse, il est souvent en tête du peloton, surtout pour les annonces de postes à l’étranger.
Portails régionaux
Les acteurs régionaux importants sont Ostjob.ch du groupe de médias NZZ et Myjob.ch d’AZ Medien, concentré sur le nord-ouest de la Suisse. «Si vous recherchez un emploi chez nous, vous êtes sûr de trouver le bon emploi dans votre région, et non des centaines d’emplois n’importe où en Suisse», souligne Peter Neumann, responsable du service numérique de Myjob.ch, expliquant le véritable sens de l’approche régionale. D’après les données maison, Myjob.ch a crû de 200% l’an dernier. Le pendant de Myjob.ch est Ostjob.ch en Suisse orientale. Créé en 2002, ce portail couvre les cantons de Saint-Gall, de Thurgovie, des deux Appenzell et des Grisons. Avec les plateformes partenaires Nicejob.de et Westjob.at, elle vise toute la région du lac de Constance, y compris le sud de l’Allemagne, le Vorarlberg et le Liechtenstein.
«Nous profitons du fait que les entreprises locales préfèrent clairement un portail d’emploi régional pour le recrutement», explique Henrik Jasek, directeur d’Ostjob. ch. Pour lui, les concurrents ne sont pas les intermédiaires nationaux, mais des «parasites», c’est-à-dire des indexeurs qui se contentent de naviguer sur Internet pour trouver des offres d’emploi et les récolter, sans faire leur propre travail et sans gérer correctement les annonces publicitaires. Un portail régional comme Ostjob.ch au contraire marque des points avec des offres d’emploi confiées de manière exclusive par ses propres clients. «Les utilisateurs savent qu’ils trouvent chez nous des offres d’emploi exclusives, actuelles et crédibles», selon Henri Jasek.
Portails spécialisés
Dans l’ombre de l’empire JobCloud, des portails spécialisés pour certaines branches et professions côtoient plusieurs autres portails régionaux. Il s’agit notamment de Jobchannel AG, créé en 2013, dans lequel AZ Medien détient une participation de 50% depuis la mi-2017. Le modèle d’affaires est basé sur une combinaison de moteurs de recherche, et de 86 plateformes maison ainsi qu’environ 100 portails partenaires, regroupés par profession et par secteur d’activité. Le concept inclut donc une approche ciblée selon la profession. «Pour moins cher, nos clients reçoivent plus de candidatures et davantage ciblées», explique le fondateur et directeur Cornel Müller, «et les employés peuvent concentrer leur recherche d’emploi dans leur domaine sans perdre de temps». Il pense avoir trouvé la bonne réponse au défi véritable, à savoir faciliter la recherche de profils professionnels clairement définis par les clients. Hotelcareer.ch, Gastrojobs.ch et Touristicareer. ch sont d’autres portails spécialisés bien connus, tous des filiales suisses du groupe international Your Career Group basé en Allemagne.
Nouveaux modèles de recherche et de placement
Le fait qu’à l’époque la Commission de la concurrence (COMCO) a dû approuver l’accord JobCloud de Tamedia et Ringier explique que la concentration soit si avancée dans la branche. En dépit de la position dominante qu’il occupe depuis, le CEO Renato Profico ne peut pas se contenter de rester les bras croisés en ignorant la concurrence, bien au contraire. «Le marché évolue constamment et il n’est pas sûr qu’il existe encore sous sa forme actuelle dans cinq ans», explique-t-il. Par exemple, un nombre croissant d’entreprises publie leurs offres d’emploi principalement ou uniquement sur leur propre site internet. Les portails de recommandation des employés et les réseaux d’entreprises grignotent le gâteau des portails d’emploi classiques.
Les médias sociaux comme Xing et LinkedIn connaissent déjà un grand succès dans le domaine de la recherche proactive de candidats. Leur avantage est d’atteindre aussi des personnes, qui ne sont pas à la recherche d’un nouvel emploi et ne cliquent donc pas sur les portails d’emploi, mais qui sont tout à fait réceptives aux perspectives intéressantes, et disposées au changement. «Il faut aborder plus souvent ces nombreux collaborateurs qualifiés détenteurs de contrats à durée indéterminée», déclare Frank Hannich, professeur de marketing à la ZHAW, la Haute Ecole zurichoise des sciences appliquées. Un autre changement dans le recrutement classique de personnel apparaît avec l’économie dite «gig». Le Cloud humain contient des plateformes comme Gigme.ch, Upwork. com ou Silp.com et Facebook, où de plus en plus d’employés proposent leurs services en indépendants.
Des algorithmes comme recruteur
Les portails de l’emploi se targuent d’être le principal canal de recherche de postes de travail, comme le montre une enquête menée par JobCloud avec l’Institut LINK. Deux tiers des personnes interrogées les auraient utilisés l’an passé pour rechercher un emploi. Les sites de carrière professionnelle (49%), les contacts personnels (45%), la presse écrite (39%) et les médias sociaux comme LinkedIn, Facebook, etc. (23%) sont énumérés dans cet ordre comme sources potentielles de travail, dans une enquête qui autorisait plusieurs réponses. D’ici quelques années à peine, ces chiffres pourraient être très différents. Les moteurs de recherche sur plusieurs plateformes et les modèles d’affaires basés sur l’intelligence artificielle et l’analyse sémantique des données arrivent dans les entreprises.
Des acteurs globaux comme Google, Apple ou Amazon ont des fonctions «professions» en préparation ou déjà activées. «C’est de plus en plus dur pour les simples agrégateurs d’emplois», explique Renato Profico. D’ici peu, on aura peut-être même plus besoin de chercher un nouvel emploi, on pourra déléguer la recherche au robot parlant Alexa. Mais si les géants américains de la Silicon Valley déploient le même algorithme de recherche partout dans le monde, cette recette unique ouvre de nouvelles perspectives aux spécialistes régionaux et qualifiés, ainsi qu’aux acteurs de niche.
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