Le Temps

Le bonheur et les «avocado toasts»

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

La technologi­e rend-elle heureux? Alors que cette dernière envahit nos vies et se trouve au coeur de nos préoccupat­ions concernant le futur de notre organisati­on sociale, ce critère simple est souvent absent des débats cherchant à enregistre­r correcteme­nt son impact. Le monde économique procède d’ailleurs à une profonde remise en question au sujet du bonheur.

Aujourd’hui, on classe tout ce qui peut l’être: le Chinois se voit en champion du nombre de diplômés, le Suisse est rassuré dans sa capacité d’innovation célébrée année après année et le Canadien souligne en 2018 son habileté à influencer le monde de manière positive. Pourtant, à quoi cela sert-il si tous les WEF et IMD du monde sont incapables de relever les compteurs du bonheur? Il faut estimer ce qui va constituer le but, pas le moyen d’y arriver.

La preuve par l’absurde de l’urgence d’appliquer cette nouvelle approche se trouve dans des endroits comme la Silicon Valley. Les gens sont-ils plus heureux dans la baie de San Francisco, le coeur de l’innovation mondiale? Difficile à croire quand certaines des plus grandes fortunes du monde y côtoient la misère la plus criante, à savoir des SDF à chaque coin de rue.

Richard Florida a sorti il y a tout juste quinze ans un livre qui apportait un espoir dans le débat. L’urbaniste américain prévoyait alors l’émergence d’une quatrième classe sociale déclarée d’emblée apte au bonheur. La classe créative devait naître des nouveaux métiers issus de la technologi­e, vivre dans les centresvil­les et transforme­r son environnem­ent pour son plus grand confort. Nous y sommes. Les créatifs, toujours plus nombreux à l’âge de l’informatio­n, occupent bel et bien le coeur de nos cités. Et celles-ci ont vu l’émergence des baristas, des espaces de coworking et des pop-up de jeunes créateurs, tout ce petit monde se nourrissan­t d’avocado toasts.

Seul problème: les villes qui se sont révélées les plus en adéquation avec le modèle de Florida s’avèrent aussi être celles qui génèrent le plus d’inégalités. A la marge d’une minorité extrêmemen­t bien éduquée et payée vit une majorité qui assiste en spectatric­e à la grande marche du progrès. En réaction, la gauche veut un Etat social plus fort quand la droite applaudit cette tension créatrice. Le risque tient dans la frustratio­n du plus grand nombre, qui finit par porter les populistes au pouvoir. Un mouvement dont l’histoire a montré qu’il porte rarement à la félicité.

Alors, la technologi­e rend-elle heureux? La réponse n’est pas donnée à la fin de cette chronique mais ce sera le thème sous-jacent des grands débats politiques de ces prochaines années.

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