Le bonheur et les «avocado toasts»
La technologie rend-elle heureux? Alors que cette dernière envahit nos vies et se trouve au coeur de nos préoccupations concernant le futur de notre organisation sociale, ce critère simple est souvent absent des débats cherchant à enregistrer correctement son impact. Le monde économique procède d’ailleurs à une profonde remise en question au sujet du bonheur.
Aujourd’hui, on classe tout ce qui peut l’être: le Chinois se voit en champion du nombre de diplômés, le Suisse est rassuré dans sa capacité d’innovation célébrée année après année et le Canadien souligne en 2018 son habileté à influencer le monde de manière positive. Pourtant, à quoi cela sert-il si tous les WEF et IMD du monde sont incapables de relever les compteurs du bonheur? Il faut estimer ce qui va constituer le but, pas le moyen d’y arriver.
La preuve par l’absurde de l’urgence d’appliquer cette nouvelle approche se trouve dans des endroits comme la Silicon Valley. Les gens sont-ils plus heureux dans la baie de San Francisco, le coeur de l’innovation mondiale? Difficile à croire quand certaines des plus grandes fortunes du monde y côtoient la misère la plus criante, à savoir des SDF à chaque coin de rue.
Richard Florida a sorti il y a tout juste quinze ans un livre qui apportait un espoir dans le débat. L’urbaniste américain prévoyait alors l’émergence d’une quatrième classe sociale déclarée d’emblée apte au bonheur. La classe créative devait naître des nouveaux métiers issus de la technologie, vivre dans les centresvilles et transformer son environnement pour son plus grand confort. Nous y sommes. Les créatifs, toujours plus nombreux à l’âge de l’information, occupent bel et bien le coeur de nos cités. Et celles-ci ont vu l’émergence des baristas, des espaces de coworking et des pop-up de jeunes créateurs, tout ce petit monde se nourrissant d’avocado toasts.
Seul problème: les villes qui se sont révélées les plus en adéquation avec le modèle de Florida s’avèrent aussi être celles qui génèrent le plus d’inégalités. A la marge d’une minorité extrêmement bien éduquée et payée vit une majorité qui assiste en spectatrice à la grande marche du progrès. En réaction, la gauche veut un Etat social plus fort quand la droite applaudit cette tension créatrice. Le risque tient dans la frustration du plus grand nombre, qui finit par porter les populistes au pouvoir. Un mouvement dont l’histoire a montré qu’il porte rarement à la félicité.
Alors, la technologie rend-elle heureux? La réponse n’est pas donnée à la fin de cette chronique mais ce sera le thème sous-jacent des grands débats politiques de ces prochaines années.
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