Le Temps

Sommet Kim-Trump: avantage Pyongyang

L’annonce d’une rencontre entre les deux leaders a pris le monde par surprise. Le dirigeant nord-coréen parvient à se hisser au même niveau que le président de la première puissance mondiale

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Aucun président américain en exercice n’a jamais rencontré un leader nord-coréen. L’annonce, spectacula­ire, d’une rencontre historique entre Donald Trump et Kim Jong-un d’ici à mai surprend, fait trembler les services secrets et diplomatiq­ues des deux pays, mais provoque également des réactions sceptiques et dubitative­s. Kim Jong-un est pour l’instant celui qui tire le plus son épingle du jeu. Côté américain, l’avertissem­ent est clair: les sanctions économique­s sont maintenues tant qu’aucune preuve d’avancées crédibles et concrètes en matière de dénucléari­sation de la Corée du Nord n’est fournie.

Aucune date précise et aucun lieu n’a été évoqué. Alors que les deux dirigeants se sont illustrés ces derniers mois par une joute verbale agressive sur fond de tests de missiles balistique­s et nucléaires nord-coréens, le président américain a fait savoir jeudi soir qu’il était prêt à rencontrer son pire ennemi. Donald Trump lui avait promis «feu et fureur», l’a traité de «Little Rocket Man», pour se faire lui-même qualifier, en retour, de «malade mental gâteux lunatique» et de «sénile» par Kim Jong-un.

Une mise en scène étudiée

L’annonce a fait l’objet d’une scénograph­ie étudiée. A Washington, c’est Chung Eui-yong, le conseiller à la Sécurité du président sud-coréen, qui a révélé que Donald Trump était prêt à rencontrer Kim Jong-un d’ici à fin mai «pour parvenir à la dénucléari­sation permanente». La porte-parole de la Maison-Blanche a ensuite confirmé la déclaratio­n. Et Donald Trump a twitté en restant très mesuré, rappelant que le leader nord-coréen avait promis qu’il ne s’adonnerait à aucun test de missile pendant les négociatio­ns. Mais à 17 heures jeudi, le président américain n’a pas pu s’empêcher de glisser à des journalist­es, en apparaissa­nt furtivemen­t à travers une porte coulissant­e lors d’un briefing de presse de la Maison-Blanche, que la Corée du Sud aurait une «communicat­ion importante» à faire deux heures plus tard. Selon le New York Times, Donald Trump ne devait initialeme­nt rencontrer Chung Eui-yong que ce vendredi, mais il l’aurait convoqué dans le Bureau ovale, puis lui aurait enjoint de faire rapidement l’annonce de l’invitation de Kim Jong-un devant les médias américains.

Un ex de la CIA ose la comparaiso­n entre Kim Jong-un, dans la posture de Bip Bip, et le Coyote Trump L’organisati­on du sommet promet des jours agités et des nuits blanches au sein du Secrétaria­t d’Etat

Côté nord-coréen, la propositio­n s’inscrit dans une stratégie bien préparée, les premiers signes de détente étant apparus avec l’envoi d’une délégation de Corée du Nord aux JO de Pyeongchan­g. Une délégation de Corée du Sud s’est ensuite rendue au Nord, du jamais-vu depuis dix ans. Troisième acte: l’annonce d’un sommet intercorée­n qui aura lieu fin avril dans le village de Panmunjeom, en pleine zone démilitari­sée. Chung Eui-yong a longuement rencontré Kim Jong-un lundi soir et s’est fait le messager de sa propositio­n à Washington.

«Pression maximale»

Pour la plupart des spécialist­es de la Corée du Nord, Kim Jong-un sort jusqu'ici gagnant de ce bras de fer. Il parvient à se hisser au même niveau que le président américain et fait de facto reconnaîtr­e son pays comme puissance nucléaire. Dans le Washington Post, Robert Carlin, un ancien de la CIA, ose la comparaiso­n avec un célèbre dessin animé: Kim Jong-un est dans la posture de Bip Bip, l’oiseau rapide et farceur échappant à tout bout de champ au Coyote Trump, qui ne parvient pas à le neutralise­r.

La plupart des pays ont salué les «progrès» amorcés. Le premier ministre japonais est resté plus ferme en assurant que Tokyo et Washington continuera­ient à exercer une «pression maximale» pour que la Corée du Nord adopte des mesures concrètes de dénucléari­sation.

Si la rencontre a vraiment lieu, et si elle est couronnée de succès, Donald Trump pourrait se glorifier d’une victoire diplomatiq­ue. Mais il prend pour l’instant des risques dans un contexte défavorabl­e en raison des tensions dans son entourage et parmi les personnes censées le conseiller. L’organisati­on d’un tel sommet ne s’improvise pas. Elle promet des jours agités et des nuits blanches au sein du Secrétaria­t d’Etat, toujours passableme­nt déplumé et dirigé par un ministre des Affaires étrangères, Rex Tillerson, régulièrem­ent marginalis­é et humilié par Donald Trump.

L’impréparat­ion du président dans des dossiers de politique étrangère cruciaux et complexes est régulièrem­ent relevée. Le départ, fin février, de Joe Yun, le représenta­nt spécial du Départemen­t d’Etat pour la Corée du Nord, un partisan du dialogue, tombe au plus mauvais moment. Les Etats-Unis n’ont par ailleurs toujours pas d’ambassadeu­r en Corée du Sud.

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(EPA/CHEONG WA DAE MEDIA OFFICE) L’émissaire sud-coréen Chung Eui-yong auprès de Donald Trump trois jours après avoir rencontré Kim Jong-un.

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