Avons-nous besoin d’autant de règles?
Une des conséquences de la crise de 2008 a été un déferlement de règles de toutes sortes sur l’économie. C’est compréhensible dans la mesure où la bulle financière s’était développée dans un «no man’s land» régulatoire. Néanmoins, bien identifier un problème n’implique pas nécessairement de trouver les bonnes solutions.
Par exemple, le texte final de Bâle III, qui vient d’être adopté par la Banque des Règlements Internationaux, en décembre 2017 ne comprend pas moins de 158 pages de ratios et de définitions financières parfaitement ésotériques pour le commun des mortels. Quelques jours plus tard, le 3 janvier, la directive européenne sur le Marché des instruments financiers (MiFID 2) est entrée en vigueur. Elle contient 1,2 million de paragraphes.
Aux Etats-Unis, le Dodd-Frank Act est considéré comme le plus grand monument de législation qui ait jamais été produit par le Sénat. Un de ses aspects importants est le Volcker Rule qui définit comment les banques peuvent investir leur propre argent. Il affiche près de 297000 mots développés sur 848 pages, toutes aussi passionnantes les unes que les autres.
Pour donner un ordre de grandeur à toutes ces réglementations, il faut rappeler que la déclaration d’indépendance américaine ne comporte que 1337 mots et que le Nouveau Testament dans son entier n’en comprend que 181253! Et tous donnent beaucoup plus d’espoir à leurs lecteurs.
Il n’y a pas que le secteur financier qui produit une inflation de règlements. L’autre grande directive européenne qui entrera en vigueur le 25 mai prochain est celle sur la protection des données personnelles. Elle compte 99 articles. Les entreprises qui ne seront pas prêtes à cette date risquent de se voir infliger une amende jusqu’à 4% de leur chiffre d’affaires.
D’ailleurs celles-ci ne sont pas en reste. Par exemple, pour utiliser iTunes d’Apple, vous êtes supposé approuver des conditions qui se définissent avec 6806 mots dans la version anglaise. À la fin, la société vous demande de lire «attentivement» ce texte et d’en confirmer sa «compréhension» en appuyant sur le bouton «Agree». Bien sûr, personne ne le fait et nous allons tous de l’avant les yeux fermés.
En effet, il a été calculé que si nous lisions consciencieusement et régulièrement toutes les demandes d’approbations qui nous sont faites par les sociétés sur Internet, soit pour donner notre accord pour l’utilisation de cookies soit pour l’accès à nos informations personnelles, nous passerions plus de 250 heures par an dans cette activité passionnante.
Mais la prolifération des règles est-elle vraiment efficace? Est-ce que l’implémentation d’un système normatif absolu va prévenir d’autres crises financières ou d’autres atteintes à la sphère privée? Chacun sait que l’imagination des entrepreneurs est illimitée et que leur vitesse d’adaptation est fulgurante pour contourner les règlements.
Toutes ces dispositions vont peut-être dans la direction contraire de leur intention, à savoir protéger le consommateur. Comme le souligne Andy Haldane, l’économiste en chef de la Banque d’Angleterre, cela revient souvent à demander à un border collie d’attraper un frisbee en appliquant d’abord les lois sur la gravité de Newton.
Un système complexe, comme celui de la finance, devrait plutôt prévoir un système de contrôle simplifié qui se baserait essentiellement sur le jugement et le bon sens de ceux qui appliquent les règles. A vouloir développer un système normatif excessif qui essaie de tout prévoir et de tout calculer, on ne fait que rajouter de la complexité à de la complexité.
Une autre question de fond est de savoir si des règles compliquées difficilement compréhensibles par la majorité de la population sont vraiment démocratiques. Comme le soulignait un des pères fondateurs des Etats-Unis, le président James Madison: «Si les lois sont si volumineuses qu’elles ne peuvent pas être lues ou si incohérentes qu’elles ne peuvent pas être comprises, elles ne peuvent pas servir le peuple.» Nous y sommes…