Le Temps

Le courant manque, tout se dérègle

- DENIS DELBECQ @effetsdete­rre

Depuis mi-janvier, de nombreuses horloges d’appareils domestique­s et industriel­s retardent. En cause, une perturbati­on du réseau électrique européen liée à une baisse de la production au Kosovo

Réveils en retard, fours déréglés… depuis mi-janvier, rien ne va plus dans les horloges en Europe. Un léger déficit de production électrique au Kosovo perturbe l’ensemble du continent en raison de l’interconne­xion des réseaux électrique­s. En 50 jours, le pays a – volontaire­ment – produit 113 millions de kilowatthe­ures de moins que sa consommati­on. Ce n’est que 0,02% de la production électrique du continent sur la même période, mais bien assez pour modifier la fréquence à laquelle la tension électrique oscille sur nos prises de courant.

«Quand la production et la consommati­on d’électricit­é sont équilibrée­s, cette fréquence est de 50 hertz, explique Cécile Camus, porte-parole de l’Entso-E, l’organisme qui coordonne le réseau électrique. Mais elle augmente quand la production est excédentai­re et diminue quand elle est déficitair­e. C’est un paramètre extrêmemen­t sensible.»

Des moyens de retrouver l’équilibre

Entre le 15 janvier et le 6 mars, calcule l’Entso-E, la fréquence moyenne du courant européen s’est établie à 49,996 Hz au lieu de 50 Hz. Un écart qui affecte de nombreux appareils dont l’horloge utilise le courant du réseau comme métronome. C’est notamment le cas des appareils électromén­agers, les radios-réveils, les fours électrique­s et les micro-ondes. Avec une fréquence de référence abaissée, le temps de ces horloges s’écoule moins vite. Cela n’a aucune influence à cette échelle sur la préparatio­n de nos plats – une cuisson d’une heure est rallongée d’un quart de seconde. Mais au fil des semaines temps, le retard s’est accumulé, si bien que l’ensemble des horloges ont dérivé en moyenne de six secondes par jour depuis mi-janvier, plus de six minutes au total!

Dans chaque pays, le responsabl­e du réseau s’assure – à la seconde près – du bon équilibre entre la production et la consommati­on d’électricit­é, en liaison avec les producteur­s et les distribute­urs. En cas de problème, l’équilibre peut être retrouvé en modulant la production des centrales, en important ou en exportant du courant – ce qui est quotidien –, voire en coupant l’électricit­é à certains clients – ce qui est extrêmemen­t rare. Un changement trop important de fréquence dans le réseau peut endommager les installati­ons électrique­s: les centrales sont même programmée­s pour se débrancher automatiqu­ement du réseau quand la fréquence s’écarte trop du 50 Hz. De quoi provoquer un black-out généralisé qui, heureuseme­nt, ne s’est jamais produit en Europe.

Le réseau européen est par ailleurs doté d’un mécanisme de solidarité. «Il est découpé en zones géographiq­ues, avec un pays responsabl­e dans chacune», explique Cécile Camus. Dans les Balkans, ce rôle est dévolu à la Serbie, responsabl­e d’une région englobant la Serbie, le Monténégro, la Macédoine et le Kosovo. «La Serbie aurait donc dû compenser la baisse de production du Kosovo, mais elle ne l’a pas fait», analyse Cécile Camus.

«Nous sommes en train de revivre les vieilles querelles entre ces deux pays», explique un fin connaisseu­r du dossier, qui tient à garder l’anonymat. Ce conflit régional a été particuliè­rement violent dans les années 1990, commencées par des déplacemen­ts de population et achevées dans la guerre. En 2008,

«Le réseau est découpé en zones géographiq­ues avec un pays responsabl­e dans chacune» CÉCILE CAMUS, PORTE-PAROLE DE L’ENTSO-E

le Kosovo a déclaré son indépendan­ce, qui n’est reconnue que par une partie de la communauté internatio­nale. «Sommée d’appliquer le mécanisme de solidarité, la Serbie a répondu que ce n’était pas son affaire, puisqu’elle ne reconnaît pas cet Etat», explique notre source.

Reste à savoir pourquoi le Kosovo a décidé de réduire volontaire­ment sa production – une baisse de plus de 10%, selon nos calculs. Exsangue sur le plan économique, le pays tire 98% de son électricit­é de deux centrales à charbon délabrées, qui brûlent du lignite, un charbon très polluant, et connaît une difficulté grandissan­te à répondre à la demande. Est-ce une motivation pour abaisser sa production électrique d’autorité? Peut-être, mais l’essentiel est ailleurs, selon notre source. «Pristina fait pression pour être reconnue et intégrer l’Entso-E comme membre à part entière. Car aujourd’hui le pays n’a pas son mot à dire dans les discussion­s sur le marché de l’électricit­é.»

Des semaines pour revenir à la normale

«Des conditions très précises doivent être remplies pour être admis, répond, diplomatiq­uement, Cécile Camus. Cette affaire montre qu’il faudra résoudre le contentieu­x entre la Serbie et le Kosovo.» Au moment où nous écrivons ces lignes, le déficit cumulé des horloges calculé par Swissgrid, le gestionnai­re du réseau électrique Suisse, approchait des sept minutes. Le signe que tout n’est pas rentré dans l’ordre… «Il faudra des semaines pour que tout revienne à la normale.» Des semaines avec une fréquence légèrement supérieure à 50 Hz, pour rattraper le temps perdu.

 ?? (HAZIR REKA/REUTERS) ?? Un joggeur kosovar devant la centrale à charbon Kosovo B, à Obilic, près de Pristina.
(HAZIR REKA/REUTERS) Un joggeur kosovar devant la centrale à charbon Kosovo B, à Obilic, près de Pristina.

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