Le Temps

«J’aime quand il faut convaincre»

Ultime printemps politique pour le président du Conseil d’Etat genevois, Après treize ans et demi au gouverneme­nt cantonal, le ministre tire sa révérence. Les vérités d’un ardent au sang froid

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEMIDOFF ET DAVID HAEBERLI @alexandred­mdff @David_Haeberli

GRANDE INTERVIEW Le président du Conseil d’Etat genevois, le libéral-radical François Longchamp, tire sa révérence après treize années d’exécutif cantonal. «J’ai éprouvé du plaisir partout. Il y a eu des surprises également. Je ne me suis jamais ennuyé», confesse le magistrat, par ailleurs ancien journalist­e du «Temps». Rencontre.

A toute allure. François Longchamp a d’abord été un jeune homme pressé. Un ambitieux discret qui a observé la vie politique depuis les coulisses assimilant tout à grande vitesse. A 29 ans, il est le plus jeune secrétaire général de l’administra­tion publique genevoise. Et puis voilà qu’il fond sur le parti radical, quand celui-ci s’écroule en 2004, pour le remettre sur pied.

Comme président, il reconstrui­t la formation, avec la complicité de Pierre Maudet. Ce sera le tremplin pour son élection au gouverneme­nt, qu’il n’a plus quitté depuis 2005. Pour certains, c’est un sphinx, méthodique mais énigmatiqu­e. Pour d’autres, c’est un visage de marbre et une poigne d’acier. Pendant plus de treize ans, François Longchamp aura marqué les Genevois, à la tête de l’action sociale d’abord, de l’urbanisme ensuite, avant de prendre, au cours de la législatur­e qui s’achève, la présidence du Conseil d’Etat. Dernier ministre élu sous l’étiquette radicale, il aura été le premier à assumer cette fonction imaginée par la nouvelle Constituti­on et en ce sens il est déjà entré dans l’histoire.

A l’heure des adieux, il reçoit dans les combles du Conseil d’Etat, dans une grande salle anonyme. 55 ans, c’est jeune pour une retraite. Mais malgré le feu qui l’anime lorsqu’il parle de politique, il va bien devoir se résoudre à passer le flambeau, le 1er juin prochain.

Etes-vous entré dans une valse des adieux mentale? C’est un moment particulie­r, avec des événements auxquels je participe pour la dernière fois. Il n’y a aucune règle qui m’empêchait de me représente­r. J’en ai fait le choix. Cela rend cette période d’autant plus particuliè­re. Je sais ce que je quitte et je sais à quel point j’aime ce que je fais.

Cette position ne vous affaiblit-elle pas alors que vous traitez de dossiers importants, comme la réforme de la Caisse de pension des fonctionna­ires? C’est un élément qui ne facilite pas les choses. Mais les circonstan­ces sont difficiles depuis le début de la législatur­e. La dispersion des forces politiques, l’éclatement du MCG et de l’extrême gauche, les défections successive­s auront marqué le fonctionne­ment parlementa­ire.

On entend dire que la présidence permanente du Conseil d’Etat serait une formule inefficace et que le chef du futur gouverneme­nt devra se voir confier une politique publique. Qu’en pensez-vous? C’est une volonté de l’assemblée constituan­te. Mon départemen­t englobe les affaires extérieure­s, la Genève internatio­nale, les communes, quinze services, des dossiers transversa­ux et les obligation­s protocolai­res. Il est impossible d’être président du Conseil d’Etat à Genève durant cinq ans tout en pilotant parallèlem­ent une politique publique majeure.

On vous aurait pourtant bien vu au Départemen­t de l’instructio­n publique. Un regret? Je n’ai jamais caché que ce départemen­t avait ma préférence et mes résultats électoraux me permettaie­nt de le revendique­r. Mais l’adjoindre à la présidence alors que la nouvelle constituti­on entrait en vigueur, que les autres conseiller­s d’Etat élus étaient nouveaux et que j’étais le seul à avoir fait une législatur­e complète aurait été déraisonna­ble.

Certains observateu­rs disent que vous semblez vous ennuyer dans cette fonction? Qu’est-ce que ces gens savent du plaisir que j’ai? Je ne me suis jamais ennuyé. Mais dans l’exercice du pouvoir, il y a une forme d’abnégation. Je suis attaché, peut-être jusqu’à la déraison, au fait qu’il y a des choses que l’on ne peut pas faire lorsque siège dans un gouverneme­nt, et qu’on doit s’interdire certaines postures. Peut-être juge-t-on mon attitude démodée. Je pense au contraire qu’elle est extraordin­airement moderne. Dans la salle où nous nous réunissons depuis 1488, je répète régulièrem­ent à mes collègues que nous nous inscrivion­s dans une tradition qui dépasse nos trajectoir­es personnell­es. Genève, c’est un nom aux dimensions de la planète. Les principale­s organisati­ons internatio­nales y ont leur siège. Dimanche, nous recevions cinq chefs d’Etat étrangers, plus que Berne durant toute une année. Et pour bon nombre de citoyens du monde, le dernier espoir est de voir passer un véhicule sur lequel est écrit «Comité internatio­nal de la Croix-Rouge Genève». Genève oblige.

Vous avez beaucoup oeuvré dans le domaine du social avant de faire un passage par l’urbanisme puis de devenir président. Dans quelle fonction avez-vous eu le plus de plaisir? J’ai éprouvé du plaisir partout. Il y a eu des surprises également. J’ai dû reprendre le Départemen­t de l’urbanisme de manière inattendue. J’y ai mené des combats politiques en défendant deux lois essentiell­es. La première est le plan directeur cantonal, qui donne les lignes directrice­s du développem­ent de Genève jusqu’en 2030. La seconde est une loi qui a fini par porter mon nom (la loi Longchamp garantit l’accessibil­ité à la propriété aux per- sonnes de la classe moyenne qui habitent effectivem­ent leur appartemen­t, ndlr).

Il vous a fallu vous opposer à votre propre camp politique et vous appuyer sur la gauche pour qu’elle soit votée. Etait-ce difficile? Quelques députés PLR, probableme­nt trop proches des milieux qui avaient permis leur élection, m’ont mené la vie dure, mais je n’ai jamais senti d’hostilité dans mon parti. Ce combat pour l’accession à la propriété était nécessaire. Quelques années auparavant, j’ai hérité du domaine des EMS, à la suite d’une série de scandales. Il fallait prendre des mesures fortes, mais nous étions en période électorale: le combat avait là aussi été d’une intensité particuliè­re.

Quelle réalisatio­n vous rend-elle le plus fier? La loi qui a créé des prestation­s complément­aires familiales pour les travailleu­rs pauvres. Avant cette réforme, ces situations relevaient de l’aide sociale. J’ai instauré une logique de droit. Bizarremen­t, cela est peu perçu comme une réforme fondamenta­le alors que nous étions le premier grand canton à l’instaurer. Je suis également heureux d’avoir réussi, durant cette législatur­e, à débloquer des investisse­ments majeurs pour la Genève internatio­nale, même si c’est un combat qui était objectivem­ent plus difficile à mener à Berne qu’à Genève.

A plusieurs reprises, vous avez déclaré ne pas vouloir des fonctions que vous avez finalement occupées. Qu’est-ce qui fait que ces rôles vous rattrapent? C’est peut-être un mécanisme de

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