«J’aime quand il faut convaincre»
Ultime printemps politique pour le président du Conseil d’Etat genevois, Après treize ans et demi au gouvernement cantonal, le ministre tire sa révérence. Les vérités d’un ardent au sang froid
GRANDE INTERVIEW Le président du Conseil d’Etat genevois, le libéral-radical François Longchamp, tire sa révérence après treize années d’exécutif cantonal. «J’ai éprouvé du plaisir partout. Il y a eu des surprises également. Je ne me suis jamais ennuyé», confesse le magistrat, par ailleurs ancien journaliste du «Temps». Rencontre.
A toute allure. François Longchamp a d’abord été un jeune homme pressé. Un ambitieux discret qui a observé la vie politique depuis les coulisses assimilant tout à grande vitesse. A 29 ans, il est le plus jeune secrétaire général de l’administration publique genevoise. Et puis voilà qu’il fond sur le parti radical, quand celui-ci s’écroule en 2004, pour le remettre sur pied.
Comme président, il reconstruit la formation, avec la complicité de Pierre Maudet. Ce sera le tremplin pour son élection au gouvernement, qu’il n’a plus quitté depuis 2005. Pour certains, c’est un sphinx, méthodique mais énigmatique. Pour d’autres, c’est un visage de marbre et une poigne d’acier. Pendant plus de treize ans, François Longchamp aura marqué les Genevois, à la tête de l’action sociale d’abord, de l’urbanisme ensuite, avant de prendre, au cours de la législature qui s’achève, la présidence du Conseil d’Etat. Dernier ministre élu sous l’étiquette radicale, il aura été le premier à assumer cette fonction imaginée par la nouvelle Constitution et en ce sens il est déjà entré dans l’histoire.
A l’heure des adieux, il reçoit dans les combles du Conseil d’Etat, dans une grande salle anonyme. 55 ans, c’est jeune pour une retraite. Mais malgré le feu qui l’anime lorsqu’il parle de politique, il va bien devoir se résoudre à passer le flambeau, le 1er juin prochain.
Etes-vous entré dans une valse des adieux mentale? C’est un moment particulier, avec des événements auxquels je participe pour la dernière fois. Il n’y a aucune règle qui m’empêchait de me représenter. J’en ai fait le choix. Cela rend cette période d’autant plus particulière. Je sais ce que je quitte et je sais à quel point j’aime ce que je fais.
Cette position ne vous affaiblit-elle pas alors que vous traitez de dossiers importants, comme la réforme de la Caisse de pension des fonctionnaires? C’est un élément qui ne facilite pas les choses. Mais les circonstances sont difficiles depuis le début de la législature. La dispersion des forces politiques, l’éclatement du MCG et de l’extrême gauche, les défections successives auront marqué le fonctionnement parlementaire.
On entend dire que la présidence permanente du Conseil d’Etat serait une formule inefficace et que le chef du futur gouvernement devra se voir confier une politique publique. Qu’en pensez-vous? C’est une volonté de l’assemblée constituante. Mon département englobe les affaires extérieures, la Genève internationale, les communes, quinze services, des dossiers transversaux et les obligations protocolaires. Il est impossible d’être président du Conseil d’Etat à Genève durant cinq ans tout en pilotant parallèlement une politique publique majeure.
On vous aurait pourtant bien vu au Département de l’instruction publique. Un regret? Je n’ai jamais caché que ce département avait ma préférence et mes résultats électoraux me permettaient de le revendiquer. Mais l’adjoindre à la présidence alors que la nouvelle constitution entrait en vigueur, que les autres conseillers d’Etat élus étaient nouveaux et que j’étais le seul à avoir fait une législature complète aurait été déraisonnable.
Certains observateurs disent que vous semblez vous ennuyer dans cette fonction? Qu’est-ce que ces gens savent du plaisir que j’ai? Je ne me suis jamais ennuyé. Mais dans l’exercice du pouvoir, il y a une forme d’abnégation. Je suis attaché, peut-être jusqu’à la déraison, au fait qu’il y a des choses que l’on ne peut pas faire lorsque siège dans un gouvernement, et qu’on doit s’interdire certaines postures. Peut-être juge-t-on mon attitude démodée. Je pense au contraire qu’elle est extraordinairement moderne. Dans la salle où nous nous réunissons depuis 1488, je répète régulièrement à mes collègues que nous nous inscrivions dans une tradition qui dépasse nos trajectoires personnelles. Genève, c’est un nom aux dimensions de la planète. Les principales organisations internationales y ont leur siège. Dimanche, nous recevions cinq chefs d’Etat étrangers, plus que Berne durant toute une année. Et pour bon nombre de citoyens du monde, le dernier espoir est de voir passer un véhicule sur lequel est écrit «Comité international de la Croix-Rouge Genève». Genève oblige.
Vous avez beaucoup oeuvré dans le domaine du social avant de faire un passage par l’urbanisme puis de devenir président. Dans quelle fonction avez-vous eu le plus de plaisir? J’ai éprouvé du plaisir partout. Il y a eu des surprises également. J’ai dû reprendre le Département de l’urbanisme de manière inattendue. J’y ai mené des combats politiques en défendant deux lois essentielles. La première est le plan directeur cantonal, qui donne les lignes directrices du développement de Genève jusqu’en 2030. La seconde est une loi qui a fini par porter mon nom (la loi Longchamp garantit l’accessibilité à la propriété aux per- sonnes de la classe moyenne qui habitent effectivement leur appartement, ndlr).
Il vous a fallu vous opposer à votre propre camp politique et vous appuyer sur la gauche pour qu’elle soit votée. Etait-ce difficile? Quelques députés PLR, probablement trop proches des milieux qui avaient permis leur élection, m’ont mené la vie dure, mais je n’ai jamais senti d’hostilité dans mon parti. Ce combat pour l’accession à la propriété était nécessaire. Quelques années auparavant, j’ai hérité du domaine des EMS, à la suite d’une série de scandales. Il fallait prendre des mesures fortes, mais nous étions en période électorale: le combat avait là aussi été d’une intensité particulière.
Quelle réalisation vous rend-elle le plus fier? La loi qui a créé des prestations complémentaires familiales pour les travailleurs pauvres. Avant cette réforme, ces situations relevaient de l’aide sociale. J’ai instauré une logique de droit. Bizarrement, cela est peu perçu comme une réforme fondamentale alors que nous étions le premier grand canton à l’instaurer. Je suis également heureux d’avoir réussi, durant cette législature, à débloquer des investissements majeurs pour la Genève internationale, même si c’est un combat qui était objectivement plus difficile à mener à Berne qu’à Genève.
A plusieurs reprises, vous avez déclaré ne pas vouloir des fonctions que vous avez finalement occupées. Qu’est-ce qui fait que ces rôles vous rattrapent? C’est peut-être un mécanisme de