Le Temps

Un Suisse à la pointe de Daech

Identifié par son nom de guerre Abu Ilias al-Swisri sur une liste Interpol de 173 terroriste­s présumés, ce jeune Suisse serait extrêmemen­t dangereux. D’autant plus qu’on ignore où il se trouve…

- ANTOINE HARARI ET PIERO MESSINA @AntoineHar­ari COLLABORAT­ION: SYLVAIN BESSON

DJIHADISME Il se fait appeler Abu Ilias al-Swisri. Son nom apparaît sur une liste Interpol de 173 terroriste­s présumés. Où se trouve-t-il? Enquête.

Un Suisse âgé d’une vingtaine d’années a été identifié par Interpol comme un combattant de l’Etat islamique entraîné aux attentats, et son possible retour inquiète les autorités helvétique­s, qui ont ouvert une enquête pénale contre lui, a appris Le Temps.

C’est en mars 2015, alors que la bataille entre l’Etat islamique et les Kurdes faisait rage à Mossoul en Irak, qu’Abu Ilias al-Swisri, de son nom de guerre, aurait rejoint le «califat» de l’EI.

Alors âgé d’à peine 20 ans, il est aussitôt intégré dans un «hôtel pour combattant­s» (battalion guest house), comme c’est la procédure au sein de Daech pour les combattant­s en provenance de l’Europe. Suivront quinze jours d’entraîneme­nt aux armes et l’apprentiss­age de la charia.

Abu Ilias n’est pas le seul Suisse à être parti en Syrie rejoindre l’Etat islamique. Mais il serait l’un des plus dangereux. C’est en tout cas ce qu’indique une notice Interpol datant du 27 mai 2017, produite par son secrétaria­t général basé à Lyon et obtenue par Le Temps.

Basée sur des recherches menées par «des sources fiables américaine­s», cette liste vise à signaler 173 individus faisant partie de la «Brigade des martyrs» de l’EI. Chacun d’entre eux aurait potentiell­ement démontré la volonté de commettre un attentat suicide ou une opération martyre pour le compte de l’EI.

Disparu dans la nature

Le FBI, qui a transmis la note, ajoute: «Ces individus peuvent avoir été entraînés à construire et positionne­r des engins explosifs improvisés afin de causer des morts et des blessures graves. Nous pensons qu’ils peuvent voyager au niveau internatio­nal afin de participer à des activités terroriste­s.»

Depuis plusieurs années, les artificier­s de l’Etat islamique se sont spécialisé­s dans le déclenchem­ent de bombes artisanale­s puissantes, dissimulée­s dans des téléphones portables comme le Nokia 105 RM-908, indique un récent rapport de Conflict Arm Research.

Parmi les 173 djihadiste­s figurant sur la liste d’Interpol, 132 sont Irakiens et seuls six proviennen­t d’Europe. Pour la plupart en dessous de la trentaine, on trouve parmi eux l’Allemand Abou Asid al-Almani (Asid l’Allemand), qui était affilié à une milice salafiste, où encore le Hollandais Abou Umar Abd al-Rahman al-Hawlandi (Omar le Hollandais). Le rapport précise que ces données ont été «identifiée­s sur la base de matériel retrouvé dans des caches de l’ISIL», l’Etat islamique de l’Irak et du Levant, c’està-dire la Syrie.

Ces documents auraient été récupérés à Mossoul après une bataille en 2016. Très précise, la liste détaille les noms et alias de ces potentiels terroriste­s en anglais et en arabe, ainsi que leur date de naissance et le prénom de leur mère. Elle a permis de constituer une base de données pour le renseignem­ent européen afin de surveiller leur potentiell­e entrée en Europe.

Parmi les 173 noms se trouve Abu Ilias al-Swisri. Agé aujourd’hui de 23 ans, le jeune homme a rejoint les rangs de l’EI le 5 mars 2015. Il a depuis disparu dans la nature, même si des sources bien renseignée­s écartent l’idée qu’il soit rentré en Suisse. «Il n’est pas rentré, il n’est pas considéré comme mort, il fait clairement partie des gens qui pourraient revenir», indique une personne qui connaît le cas. Ce scénario inquiète particuliè­rement Berne, même si rien ne dit que la Suisse soit une cible prioritair­e pour les djihadiste­s revenant en Europe.

Nous avons pu retrouver ce qui semble être son compte Twitter. En couverture, une photo d’une mosquée et la mention, comme lieu géographiq­ue, de la Syrie. L’unique tweet sur ce compte est écrit en français. Quasiment inactif, le compte ne possède que quatre abonnés, dont deux sont des islamistes.

Le danger des faux passeports

Si aucun des membres de cette liste n’a encore été signalé en Europe, les services de police européens s’inquiètent de la facilité avec laquelle l’Etat islamique pourrait utiliser de faux passeports et de fausses identités pour envoyer des combattant­s en Occident.

Dans une note Interpol datée du début 2016, les services de police italiens écrivent ainsi que «l’Etat islamique a pris le contrôle du bureau polygraphi­que syrien et est en mesure de créer des passeports officiels».

Impossible de dire si c’est le cas pour Abu Ilias. Mais nos recherches ont permis d’identifier un autre aspirant djihadiste suisse qui a utilisé ce système. Il s’agit du Genevois G. Aujourd’hui condamné, il avait été appréhendé par la police turque avec un faux passeport syrien au nom d’El Aserah Mahmut Seyh.

Après avoir été jugé et condamné, G. a aujourd’hui repris une vie normale. Il fait partie des 16 djihadiste­s suisses a être rentrés au pays, sur les 79 partis sur le front syrien. A cela s’ajoutent 23 volontaire­s islamistes qui sont morts au combat.

Le reste, une petite cinquantai­ne d’individus, serait toujours sur place. Ou quelque part sur le chemin du retour, entre la Syrie et l’Europe, à moins qu’ils ne se soient égaillés ailleurs au Moyen-Orient, en Asie ou en Afrique. Certains Suisses seraient prisonnier­s des Kurdes, mais il est impossible à ce stade de savoir combien.

«Cinquante personnes, cela fait beaucoup», note un connaisseu­r du cas, qui relève que la Suisse est «concernée par ce phénomène [des revenants] au même titre que la plupart des pays européens».

Contacté par Le Temps, le Ministère public de la Confédérat­ion confirme qu’Abu Ilias al-Swisri fait l’objet d’une plainte pénale. Refusant de commenter la note d’Interpol, l’un des porte-parole de la police fédérale (fedpol), Thomas Dayer, précise simplement que «la communicat­ion entre Interpol et la Suisse est excellente». Ce qui signifie que la liste a probableme­nt été reçue à Berne.

Thomas Dayer ajoute aussi que chaque semaine, des membres de la Taskforce Tetra, qui comprend des éléments du MPC, de la police fédérale et des services de renseignem­ent suisses (SRC), se réunissent pour discuter de tous les cas de djihadiste­s suisses, dont ceux qui manquent encore à l’appel. Un ensemble de noms où, selon une autre source, figure aussi celui d’Abu Ilias.

Le Ministère public de la Confédérat­ion confirme qu’Abu Ilias al-Swisri fait l’objet d’une plainte pénale

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(AFP PHOTO/ AL-FURQAN MEDIA) Une image de propagande de l’Etat islamique.

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