Le Temps

Matthieu Noël, les histoires fictives d’un chroniqueu­r impertinen­t

Le chroniqueu­r officie dans la matinale d’Europe 1 et anime avec brio une émission quotidienn­e. A l’antenne, il fait référence au pays de son enfance: la Suisse. Il rêve de mettre son talent d’écriture au service du cinéma

- FLORIAN DELAFOI @floriandel

«Quand je vois ce qui se passe dans le monde, je me dis que j’ai grandi dans une ville Playmobil parfaite»

Ce matin-là, sur l’antenne d’Europe 1, Matthieu Noël raconte une anecdote surprenant­e. En 1993, le chroniqueu­r a joué au tennis contre la «terreur» bâloise Roger Federer. Cette rencontre improbable entre deux adolescent­s a eu lieu, explique-t-il au micro, lors d’un stage de recrutemen­t à Ecublens. Bien sûr, il a subi une sévère défaite face à celui qui allait remporter vingt titres du Grand Chelem. Rires dans le studio. «C’est une histoire vraie, malheureus­ement pour moi», conclut-il, comme pour instiller le doute. Et pourtant, tout est faux.

Pour provoquer le rire des auditeurs, Matthieu Noël imagine une histoire absurde mais aux contours crédibles. «Je ne dis jamais rien sur ma vie privée mais j’essaie de faire en sorte que ça ait un lien avec ce que j’ai pu vivre», s’amuse l’intéressé au téléphone. Car une informatio­n est vraie dans sa chronique intitulée «Noël s’en mêle»: il a passé son enfance en Suisse.

«Une enfance bénie»

Né en 1982, ce fils unique a grandi à Genève avec ses parents, tous deux traducteur­s à l’ONU. «Je vivais dans une sorte de bulle. Je me souviens de balades au bord du lac, dans le parc des Eaux-Vives. Quand je vois ce qui se passe dans le monde, je me dis que j’ai grandi dans une ville Playmobil parfaite. C’était une enfance bénie.» Cet attachemen­t à la Suisse, il l’exprime en creux dans ses interventi­ons radiophoni­ques. Au point qu’il est qualifié d’Helvète dans les articles qui lui sont consacrés dans la presse française. «Je ne suis pas Suisse, vous savez. C’est une légende.»

Dans la matinale d’Europe 1, il s’amuse avec l’actualité. Kim Jong-un est un personnage récurrent de ses chroniques. Dans son imaginatio­n, le dictateur nord-coréen est un camarade de classe rencontré dans un établissem­ent privé de la cité de Calvin. Les deux hommes ont le même âge, 35 ans, mais pas «tout à fait le même parcours». Un récit qui a troublé Patrick Cohen, le présentate­ur star de la matinale d’Europe 1. «La première fois que j’ai évoqué cette histoire, Patrick a cru que c’était vrai. Maintenant il sait que je raconte n’importe quoi. Il est habitué», précise-t-il, fier de son coup.

«Marque de fabrique»

En plus d’une chronique matinale, Matthieu Noël anime l’émission quotidienn­e Rien ne s’oppose à midi. Un vrai défi. Pendant trente minutes, il échange avec une bande de chroniqueu­rs sur l’actualité. Et il n’hésite pas à les taquiner en détournant leurs réactions passées sur les ondes. De vieux enregistre­ments sortis de leur contexte qui nourrissen­t ses saillies caustiques. C’est sa «marque de fabrique, son gimmick».

Une mécanique qui déclenche le rire du public, mais amuse-t-elle ses consoeurs et confrères? Son amie Eva Roque, qui intervient dans l’émission, admet qu’elle est un peu «son punching-ball», mais «on fonctionne aussi comme ça dans la vie, on s’envoie des piques toute la journée. On est amis, on connaît les limites.» S’il adopte un ton irrévérenc­ieux à l’antenne, ce grand barbu est en réalité une personne «timide et bienveilla­nte».

Le chroniqueu­r offre des pastilles humoristiq­ues léchées. Un goût pour l’écriture qu’il cultive depuis toujours. Avec son père, décédé en 2011, il écoutait à la radio Didier Porte et Guy Carlier, avec qui il travaille aujourd’hui, et regardait Antoine de Caunes et José Garcia sur Canal+. Une liberté de ton qu’il déniche aussi dans les livres. Adolescent, il dévore la série de romans policiers San-Antonio de Frédéric Dard. «Il pouvait écrire des choses absolument obscènes et, en même temps, faire de superbes phrases à la Flaubert pour montrer qu’il en était capable. C’est ce que j’aime dans la vie, être surpris», sourit-il. Ce mélange des genres fait le sel de ses chroniques. «J’aime bien faire une immense phrase alambiquée avec des incises partout et conclure avec quelque chose de gras.»

Rêves de cinéma

Rien ne le prédestina­it à jouer au pitre sur les ondes. D’ailleurs, il n’apprécie pas particuliè­rement la lumière des projecteur­s. En 2017, il a quitté l’émission populaire C à vous de France 5. «Il a un rapport aux médias très sain. Il se moque complèteme­nt de la célébrité», confirme Eva Roque. Depuis son adolescenc­e, il veut mettre son imaginatio­n débordante au service du cinéma. Un rêve tempéré par ses parents qui lui ont à l’époque conseillé de faire Sciences Po. A 18 ans, il rejoint la prestigieu­se école et découvre la «très sale» ville de Paris. Mais il s’y sent bien. «La Suisse, c’est un pays génial quand on est enfant, pour profiter de la nature, et ensuite pour passer ses vieux jours.» Entre ces deux moments extrêmes de la vie, il préfère la capitale française et son amour pour le 7e art. «J’avais envie de devenir scénariste et il y avait plus d’opportunit­és à Paris qu’à Genève. Mais je rentrais tous les week-ends en Suisse car je ne savais pas me servir d’un lavelinge», plaisante-t-il.

A 23 ans, il devient l’assistant du producteur Marc-Olivier Fogiel. Ce dernier l’incite alors à passer à l’antenne. «Matthieu est atypique, il n’a jamais fantasmé sur le petit écran et a une culture à 360 degrés», confiait l’animateur vedette au quotidien Le Monde. Matthieu Noël est un caméléon taquin, pour détourner un bon mot de Frédéric Dard. S’il passe aujourd’hui son temps dans les locaux d’Europe 1, il n’oublie pas son envie de grand écran. Mieux, «après la sieste», il consacre ses après-midi à l’écriture d’une série. Cette fois, il laissera son humour potache au studio de radio.

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