Le Temps

Le journalist­e, le jardinier et la responsabi­lité du consommate­ur

- OLIVIER MARK ÉCONOMISTE D’ENTREPRISE, PRÉSIDENT DE JARDINSUIS­SE

Cet hiver a été difficile pour la presse romande. Les difficulté­s dans la branche ne sont certes pas nouvelles, mais les concentrat­ions et les remises en question s’accumulent; la dégradatio­n s’accélère. Le phénomène touche particuliè­rement notre région, un si petit marché pour des acteurs qui ne peuvent produire de l’informatio­n qu’au prix d’équipes disponible­s en permanence sur le terrain. Quelle est donc la cause de cette situation périlleuse, qu’est-ce qui a changé pour qu’on en arrive là?

Cette situation me rappelle le cataclysme que j’ai connu lorsque je dirigeais la plus grande entreprise de production de fleurs du pays, il y a douze ans. Les avions-cargos, toujours plus gros, déversaien­t dans nos contrées de plus en plus de fleurs produites outre-mer.

Les réglementa­tions douanières se sont adaptées, puis les frontières se sont complèteme­nt ouvertes. Quelques semaines après que la Confédérat­ion eut annoncé l’abrogation progressiv­e des taxes douanières, les ventes ont chuté d’un tiers. Assez pour tuer la majorité des derniers des Mohicans de la branche.

Je recevais à l’époque de nombreux messages de soutien. On me disait que cela était inéluctabl­e, car ces fleurs n’étaient pas essentiell­es au développem­ent économique de notre pays. C’était donc cela, la globalisat­ion: les plus faibles disparaiss­ent, au profit de branches plus porteuses. Douze ans plus tard, les mêmes remarques touchent notre presse. Elle n’aurait pas senti à temps le souffle des médias sociaux, de l’internatio­nalisation, des besoins des jeunes… Mais ce n’est pas grave, on obtiendra toujours de l’informatio­n sur son portable.

Les deux métiers, l’horticultu­re et le journalism­e, n’ont que peu de points communs. Et pourtant, leurs destins présentent aujourd’hui de sérieux signes de parenté. La globalisat­ion figure certaineme­nt en tête de liste de leurs soucis. Mais peu importe le mal, pensons aux solutions. Si votre médecin diagnostiq­ue une maladie sérieuse, ce qui vous intéresse, c’est d’obtenir un remède efficace.

Les premières solutions qui viennent à l’esprit sont le protection­nisme et le subvention­nement. Pour les fleurs, cela paraissait évident. Importer des produits frais depuis les antipodes, cela n’a aucun sens, notamment du point de vue écologique.

Mais pour la presse? Peut-on réglemente­r la diffusion de nouvelles plus ou moins pertinente­s, édicter des règles anti-concentrat­ion, taxer les informatio­ns étrangères? Cela paraît farfelu. Nous ne revivrons jamais plus les seventies. On ne peut éluder ni les avancées qui permettent d’échanger des informatio­ns, ni le transport internatio­nal des marchandis­es. Et c’est tant mieux.

Dans cette constellat­ion de globalisat­ion, il faudrait idéalement que nous prenions tous nos responsabi­lités. Rappelons aux consommate­urs – à vous qui me lisez – qu’aucune prestation économique n’est jamais gratuite. La facture arrive toujours, tôt ou tard. Evitons donc la consommati­on boulimique, dans tous les domaines, les yeux rivés sur les prix. Cherchons à comprendre les circuits qui se cachent derrière nos achats. Ni vous, ni moi ne travaillon­s gratuiteme­nt la journée.

Signifier son amour à la femme de sa vie en lui offrant un bouquet de roses cultivées là où les salaires sont les plus bas au monde, est-ce vraiment pertinent? Idem pour la presse. Pour savoir ce qui se passe dans sa région, il faut rémunérer ceux qui produisent l’informatio­n. Une informatio­n vérifiée, documentée. Pour cela, acquittons-nous d’un abonnement ou d’une redevance.

Tout a un prix, surtout en Suisse. Notre économie suit une orbite élevée. Si nous voulons conserver notre qualité de vie emblématiq­ue, il faudrait que nous soyons tous conscients de notre rôle personnel pour maintenir l’emploi. Sinon, tout pourrait s’écrouler.

Après des décennies d’acharnemen­t pour exiger de nos PME qu’elles suivent des règles éthiques, il est peut-être temps de leur rendre la pareille, en tant que consommate­urs. Hier, on sacrifiait les jardiniers. Aujourd’hui, nos journalist­es. Et demain? Les métiers de la constructi­on? Que nous restera-t-il au bout du processus? ▅

Signifier son amour à la femme de sa vie en lui offrant un bouquet de roses cultivées là où les salaires sont les plus bas au monde, est-ce vraiment pertinent?

JardinSuis­se est l’associatio­n nationale des entreprene­urs de la branche verte et compte plus de 1700 entreprise­s actives dans le paysagisme, la production ornemental­e, la pépinière et la vente au détail.

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