Le journaliste, le jardinier et la responsabilité du consommateur
Cet hiver a été difficile pour la presse romande. Les difficultés dans la branche ne sont certes pas nouvelles, mais les concentrations et les remises en question s’accumulent; la dégradation s’accélère. Le phénomène touche particulièrement notre région, un si petit marché pour des acteurs qui ne peuvent produire de l’information qu’au prix d’équipes disponibles en permanence sur le terrain. Quelle est donc la cause de cette situation périlleuse, qu’est-ce qui a changé pour qu’on en arrive là?
Cette situation me rappelle le cataclysme que j’ai connu lorsque je dirigeais la plus grande entreprise de production de fleurs du pays, il y a douze ans. Les avions-cargos, toujours plus gros, déversaient dans nos contrées de plus en plus de fleurs produites outre-mer.
Les réglementations douanières se sont adaptées, puis les frontières se sont complètement ouvertes. Quelques semaines après que la Confédération eut annoncé l’abrogation progressive des taxes douanières, les ventes ont chuté d’un tiers. Assez pour tuer la majorité des derniers des Mohicans de la branche.
Je recevais à l’époque de nombreux messages de soutien. On me disait que cela était inéluctable, car ces fleurs n’étaient pas essentielles au développement économique de notre pays. C’était donc cela, la globalisation: les plus faibles disparaissent, au profit de branches plus porteuses. Douze ans plus tard, les mêmes remarques touchent notre presse. Elle n’aurait pas senti à temps le souffle des médias sociaux, de l’internationalisation, des besoins des jeunes… Mais ce n’est pas grave, on obtiendra toujours de l’information sur son portable.
Les deux métiers, l’horticulture et le journalisme, n’ont que peu de points communs. Et pourtant, leurs destins présentent aujourd’hui de sérieux signes de parenté. La globalisation figure certainement en tête de liste de leurs soucis. Mais peu importe le mal, pensons aux solutions. Si votre médecin diagnostique une maladie sérieuse, ce qui vous intéresse, c’est d’obtenir un remède efficace.
Les premières solutions qui viennent à l’esprit sont le protectionnisme et le subventionnement. Pour les fleurs, cela paraissait évident. Importer des produits frais depuis les antipodes, cela n’a aucun sens, notamment du point de vue écologique.
Mais pour la presse? Peut-on réglementer la diffusion de nouvelles plus ou moins pertinentes, édicter des règles anti-concentration, taxer les informations étrangères? Cela paraît farfelu. Nous ne revivrons jamais plus les seventies. On ne peut éluder ni les avancées qui permettent d’échanger des informations, ni le transport international des marchandises. Et c’est tant mieux.
Dans cette constellation de globalisation, il faudrait idéalement que nous prenions tous nos responsabilités. Rappelons aux consommateurs – à vous qui me lisez – qu’aucune prestation économique n’est jamais gratuite. La facture arrive toujours, tôt ou tard. Evitons donc la consommation boulimique, dans tous les domaines, les yeux rivés sur les prix. Cherchons à comprendre les circuits qui se cachent derrière nos achats. Ni vous, ni moi ne travaillons gratuitement la journée.
Signifier son amour à la femme de sa vie en lui offrant un bouquet de roses cultivées là où les salaires sont les plus bas au monde, est-ce vraiment pertinent? Idem pour la presse. Pour savoir ce qui se passe dans sa région, il faut rémunérer ceux qui produisent l’information. Une information vérifiée, documentée. Pour cela, acquittons-nous d’un abonnement ou d’une redevance.
Tout a un prix, surtout en Suisse. Notre économie suit une orbite élevée. Si nous voulons conserver notre qualité de vie emblématique, il faudrait que nous soyons tous conscients de notre rôle personnel pour maintenir l’emploi. Sinon, tout pourrait s’écrouler.
Après des décennies d’acharnement pour exiger de nos PME qu’elles suivent des règles éthiques, il est peut-être temps de leur rendre la pareille, en tant que consommateurs. Hier, on sacrifiait les jardiniers. Aujourd’hui, nos journalistes. Et demain? Les métiers de la construction? Que nous restera-t-il au bout du processus? ▅
Signifier son amour à la femme de sa vie en lui offrant un bouquet de roses cultivées là où les salaires sont les plus bas au monde, est-ce vraiment pertinent?
JardinSuisse est l’association nationale des entrepreneurs de la branche verte et compte plus de 1700 entreprises actives dans le paysagisme, la production ornementale, la pépinière et la vente au détail.