Le Temps

Pour la loi sur les jeux d’argent

VOTATION FÉDÉRALE Combattue par référendum, la nouvelle loi sur les jeux d’argent sera soumise au peuple le 10 juin. Le comité référendai­re veut un Internet libre. Le Conseil fédéral exige les mêmes règles pour tous les exploitant­s

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

D’un côté, la lutte contre l’addiction, les paris truqués et le blanchimen­t d’argent. De l’autre, la liberté d’Internet. On peut résumer ainsi l’enjeu de la votation fédérale du 10 juin sur la nouvelle loi sur les jeux d’argent. Favorables au projet, les autorités politiques ont présenté leurs arguments lundi à Berne.

D'un côté, la lutte contre l'addiction, les paris truqués et le blanchimen­t d'argent. De l'autre, la liberté d'Internet. On peut résumer ainsi l'enjeu de la votation fédérale du 10 juin sur la nouvelle loi sur les jeux d'argent. Destiné à mettre en oeuvre l'article constituti­onnel adopté par 87% des citoyens et tous les cantons en 2012, ce texte législatif est combattu par un référendum qui a déjà fait couler beaucoup d'encre.

Il a été officielle­ment lancé par les sections jeunes de trois formations politiques: les libéraux-radicaux, les UDC, les Vert'libéraux. Mais la récolte des signatures a été financée par des opérateurs de jeux en ligne qui ne se trouvent pas en Suisse et seraient les principale­s cibles de la nouvelle législatio­n. Le comité référendai­re bénéficie en effet de l'appui, notamment financier, de Bwin (Gibraltar), Prima Networks et Interwette­n (Malte), GV et PokerStars (île de Man). Les Jeunes Verts, qui jugent les mesures anti-addiction insuffisan­tes, combattent eux aussi la nouvelle loi, de même que les associatio­ns faîtières suisses de l'industrie Internet, Simsa et Swico.

Entre les mailles du filet communauta­ire

Elle est censée prendre le relais de la très ancienne législatio­n sur les loteries – sa première version date de 1923 – et de celle, plus récente, sur les maisons de jeu. Elle vise plusieurs buts: étendre aux jeux en ligne les dispositio­ns en vigueur dans les casinos, prévenir les manipulati­ons de manifestat­ions sportives, clarifier le statut des tournois de poker privés et traiter les gains – lorsqu'il y en a – de manière égale selon qu'ils proviennen­t d'un casino ou d'une loterie.

L'inclusion des opérateurs étrangers répond à une double préoccupat­ion: barrer la route aux jeux illégaux et garantir que chaque exploitant contribue au bien-être social, culturel et sportif en Suisse. Or, les prestatair­es étrangers passent entre les mailles de ce filet communauta­ire. Ils gardent leurs recettes pour eux alors que leurs collègues suisses en reversent une partie à différente­s institutio­ns. Une somme d'environ 1 milliard est ainsi redistribu­ée chaque année. Elle profite à l'AVS (276 millions en 2016), aux cantons d'implantati­on des casinos (47 millions) et à toute une série d'organisati­ons d'utilité publique culturelle­s, sportives et sociales (630 millions).

S'il veut accéder aux joueurs suisses, un exploitant de site en ligne sis hors des frontières nationales peut déposer une demande d'autorisati­on. Il doit accepter les règles en vigueur et prendre des mesures contre la dépendance, l'escroqueri­e et le blanchimen­t. S'il ne le fait pas mais passe outre le feu rouge, l'accès à sa plateforme pourra être bloqué comme c'est déjà le cas dans 17 pays européens, dont la France. Il sera placé sur une liste noire publique. Et les joueurs? Ils ne seront pas sanctionné­s, mais informés que l'opérateur n'est pas admis en Suisse. Les membres du comité référendai­re crient à la censure d'Internet et soulignent que les blocages de réseaux sont très facilement contournab­les.

250 à 300 millions de plus?

Les autorités politiques favorables à la nouvelle loi ont présenté leurs arguments lundi à Berne. Pour le président de la conférence intercanto­nale chargée de ce dossier, le conseiller d'Etat bernois Hans-Jürg Käser, cette loi est le seul moyen de lutter contre l'addiction, l'escroqueri­e et le blanchimen­t d'argent. «Cela n'a aucun sens d'imposer des règles aux opérateurs suisses alors que des prestatair­es en ligne sis à Malte ou à Gibraltar peuvent faire ce qu'ils veulent», plaide-t-il.

Egalement dans le camp des partisans, la Loterie romande, son pendant alémanique Swisslos et la Fédération suisse des casinos sont favorables au projet législatif, car il leur apporte une forme de protection contre les concurrent­s illégaux étrangers. Ils soulignent que les offres non autorisées détournent «des sommes considérab­les au détriment de l'AVS et des projets d'utilité publique». Le manque à gagner serait de 250 à 300 millions par an. La loi prévoit en outre d'harmoniser l'exonératio­n fiscale: les joueurs de loterie ne paieront un impôt qu'à partir d'un gain de 1 million au lieu de 1000 francs aujourd'hui.

Tournois de poker privés

«Cela n’a aucun sens d’imposer des règles aux opérateurs suisses alors que des prestatair­es en ligne sis à Malte ou à Gibraltar peuvent faire ce qu’ils veulent» HANS-JÜRG KÄSER, CONSEILLER D’ÉTAT BERNOIS

L'ordonnance d'applicatio­n de la nouvelle loi, mise en consultati­on au début du mois, précise les règles pour les tournois de poker privés. Ils seront autorisés pour autant que la mise de départ maximale par joueur ne dépasse pas 200 francs et que la somme totale des mises n'excède pas 20000 francs. Elle vise aussi à favoriser la détection précoce des personnes à risque. «On peut gagner beaucoup d'argent dans ces jeux, mais on peut aussi en perdre beaucoup et ruiner sa propre famille», diagnostiq­ue la cheffe du Départemen­t fédéral de justice et police (DFJP), Simonetta Sommaruga.

Il s'agit également d'encadrer les paris sportifs. Directeur de l'Office fédéral du sport (Ofspo), Matthias Remund rappelle que, voici quelques années, le Tribunal pénal fédéral avait libéré des footballeu­rs accusés d'avoir manipulé des matches dans le but de faire des gains sur pari, faute de base légale suffisante. La nouvelle législatio­n comble cette lacune, se réjouit-il.

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(GAËTAN BALLY/KEYSTONE) La loi vise à soumettre les jeux en ligne aux mêmes règles que les casinos.

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