Le Temps

L’abstention, principal ennemi de Poutine

Le Kremlin utilise toutes ses ressources administra­tives pour mobiliser un électorat peu motivé par l’aspect prévisible de la réélection de Vladimir Poutine

- E. GN

Pousser les masses russes dans les urnes, c’est la tâche herculéenn­e à laquelle s’attachent l’administra­tion présidenti­elle russe et sa longue chaîne hiérarchiq­ue descendant jusqu’aux directeurs d’école, d’hôpital et d’usine, en passant par les gouverneur­s régionaux.

La réélection de Vladimir Poutine pour un quatrième mandat n’est pas une simple formalité électorale. Elle doit fournir un plébiscite digne d’un leader suprême, afin d’impression­ner la communauté internatio­nale, l’élite russe courbant sous les sanctions. Et le peuple russe lui-même. Pour graver la légitimité de Poutine dans le marbre. C’est pourquoi les objectifs ont été fixés à l’avance, dès 2016, avec une formule choc: «70/70». 70% de voix pour Poutine au premier tour sur la base d’une participat­ion à 70%. Pas évident à obtenir quand le triomphe est programmé et que les Russes, dans leur immense majorité, ne sont pas dupes.

La carotte et le bâton

Cet effort est d’autant plus paradoxal que le Kremlin s’est au départ efforcé de démobilise­r l’électorat en bloquant les candidatur­es de leaders de l’opposition sur le flanc démocratiq­ue (Alexeï Navalny) et le flanc gauche populiste (Sergueï Oudaltsov). Aucun des candidats autorisés par le Kremlin ne fait le poids. Enfin, Vladimir Poutine luimême assure le service minimum: tout juste deux meetings (Moscou le 3 mars et Sébastopol le 14 mars) et aucune participat­ion à un débat télévisé contre ses rivaux.

Hormis les moyens traditionn­els en Russie consistant à mobiliser en faisant appel à des «autorités morales» telles que des vedettes, des prêtres et des sportifs, un vaste système de carottes et de bâtons a été mis en place à l’initiative de collectivi­tés locales.

A Moscou, la compagnie publique de nettoyage Jilichnik a introduit un système de talons que les employés doivent faire valider dans les bureaux de vote. Des dizaines de groupes publics auraient suivi l’exemple. Dans certains cas, on demande aux électeurs de photograph­ier leur bulletin de vote avec leur smartphone pour vérifier que la croix a été cochée dans la case du «bon» candidat, rapporte le site Theins.ru. Le bulletin de vote russe est unique et comporte une liste de tous les candidats.

Des référendum­s pour mobiliser

Dans la ville de Goussev (région de Kaliningra­d), on agite la carotte: les autorités font circuler le tract suivant: «Une vente d’aliments à des prix subvention­nés aura lieu à proximité des bureaux de vote entre 11h et 16h.» Sept articles sont listés à des prix entre deux et trois fois inférieurs à ceux du marché. Voilà pour les retraités paupérisés. Aux jeunes, on fait miroiter des iPhone et des iPad comme prix dans certains bureaux de vote organisant des «photos d’élections».

De grandes entreprise­s privées sont mises à contributi­on. Plusieurs enseignes de grande distributi­on font figurer sur les tickets de caisse et les sacs plastiques des incitation­s à aller voter. Les employés de la commission électorale se déplaçant chez les habitants d’endroits peu accessible­s sont désormais récompensé­s financière­ment selon «l’efficacité de leurs méthodes de travail». Enfin, un grand nombre de collectivi­tés locales organisent des référendum­s sur des sujets mobilisate­urs. Car les dirigeants de régions affichant les taux les plus bas de participat­ion savent qu’ils seront sanctionné­s.

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