Le Temps

Les droits de l’homme en berne en Corée du Nord

Rapporteur spécial des Nations unies, Tomas Ojea Quintana met en garde. Dans la perspectiv­e d’un sommet Donald Trump – Kim Jong-un, les droits de l’homme ne peuvent pas être un simple astérisque

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

A l’heure où Donald Trump et Kim Jong-un prévoient de se rencontrer lors d’un sommet historique – le premier entre un président américain et un leader nord-coréen – d’ici à la fin mai, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Corée du Nord monte au créneau. Lundi lors d’une conférence de presse, Tomas Ojea Quintana l’a martelé: «Les droits de l’homme en Corée du Nord ne peuvent pas être dissociés de la question de la dénucléari­sation de la péninsule coréenne.»

Lundi au Conseil des droits de l’homme à Genève, Pyongyang n’a pourtant pas entendu l’émissaire onusien, préférant la «politique de la chaise vide» lors du dialogue interactif avec Tomas Ojea Quintana après que ce dernier, interdit d’entrée dans le pays, eut déposé un rapport sur la situation des droits de l’homme en Corée du Nord.

Une situation alimentair­e dramatique

La Corée du Nord a beau bénéficier d’une relative embellie économique avec des taux de croissance de son PIB se chiffrant à plus de 3% depuis 2016, 10,5 millions d’habitants (41%) sur les 23 millions que compte le pays souffrent de sous-nutrition. Le pays n’a pas vraiment récupéré des graves famines des années 1990 qui ont ruiné le système de distributi­on public. Les rations de denrées alimentair­es distribuée­s par l’Etat et dont dépendent 18 millions de Nord-Coréens «ont chuté en dessous de l’objectif étatique de 573 grammes par personne et par jour», relève le rapport de Tomas Ojea Quintana.

Les provinces du nord du pays sont très vulnérable­s aux catastroph­es naturelles, à la sécheresse et aux inondation­s, rendant les ressources agricoles beaucoup plus incertaine­s. Face à l’insécurité alimentair­e, les Nord-Coréens recourent au système D. Selon un témoin cité dans le rapport, seuls

Sur les 23 millions d’habitants que compte la Corée du Nord,

10,5 millions souffrent de sous-nutrition

les fonctionna­ires du gouverneme­nt ont droit à des rations. La majorité de la population survit par le biais du secteur informel d’approvisio­nnement, notamment grâce au trafic de marchandis­es vers la Chine.

Le principe d’autarcie, juche en nord-coréen, défendu par Kim Jong-un dans son dernier plan quinquenna­l non seulement ne suffit pas à nourrir le peuple, mais pousse au contraire nombre de citoyens à chercher eux-mêmes des moyens de subsistanc­e. Dans ce cadre-là, Tomas Ojea Quintana ne remet pas en question les dures sanctions adoptées même par la Chine au Conseil de sécurité de l’ONU, mais il «n’approuve pas des sanctions qui pénalisent l’économie entière».

Les conditions de détention de prisonnier­s politiques sont aussi clouées au pilori. Six ressortiss­ants de Corée du Sud et trois Américains sont toujours détenus pour «activités hostiles à l’Etat». Ils n’ont aucun accès aux consulats de leur pays et sont dans l’incapacité de communique­r avec leurs familles. Une femme nord-coréenne qui a pu s’échapper raconte les conditions atroces qui régnaient dans un kyohwaso, un camp de travail forcé, où elle était détenue. «Le premier défi le matin, expliquet-elle, est de trouver de l’eau, car seules trois ou quatre cellules sur trente ont de l’eau courante pour un temps limité le matin. Nous devions marcher pendant une heure pour trouver une fontaine et pouvoir laver notre visage.»

Critiques de la Suisse

Dans son discours du Nouvel An, le leader nord-coréen a été clair sur la liberté de conscience et d’expression qu’il entend autoriser à ses concitoyen­s: «Toutes les organisati­ons du parti ne doivent pas tolérer le moindre semblant d’hétérogéné­ité dans les idées […] qui vont à l’encontre de l’idéologie du parti.» Une femme a ainsi été emprisonné­e à trois reprises, accusée de «superstiti­on» pour avoir pratiqué la divination pour gagner un peu d’argent.

La Suisse ne s’est pas privée lundi de critiquer les «violations graves et systématiq­ues des droits de l’homme» en Corée du Nord, en particulie­r les conditions de détention, les restrictio­ns à la liberté d’opinion, d’expression et de religion. Selon Berne, Pyongyang devrait même rendre des comptes devant la Cour pénale internatio­nale.

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