Le Temps

François Hollande défend les Kurdes contre Ankara

L’ancien président français sort de sa réserve pour demander des zones d’exclusion aérienne au-dessus de la Ghouta orientale et de la région d’Afrine

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

C’est une première depuis la fin de son quinquenna­t, le 15 mai 2017. Silencieux depuis son départ de l’Elysée, François Hollande a décidé de mettre publiqueme­nt en garde son successeur contre les agissement­s en Syrie de la Russie et de la Turquie.

«La Russie se réarme depuis plusieurs années et, si elle est menaçante, elle doit être menacée», assène l’ancien président français dans un entretien exclusif au Monde. Et d’accuser: «En permettant à Ankara de bombarder nos alliés kurdes en Syrie, Moscou pousse aussi pour une division de l’OTAN. Il y a à peine un an, Vladimir Poutine n’avait pas de mots assez durs contre le président turc Recep Tayyip Erdogan. Maintenant, ces deux pays se sont mis d’accord pour un partage de la Syrie.»

Malaise diplomatiq­ue

La sortie de l’ex-chef de l’Etat annonce sans doute d’autres prises de parole prochaines. L’intéressé s’apprête en effet, le 11 avril, à publier un livre sur son mandat et sur les circonstan­ces qui le poussèrent à renoncer à se représente­r, le 1er décembre 2016, laissant la voie libre pour la candidatur­e victorieus­e de son ancien conseiller Emmanuel Macron. Mais elle révèle surtout le malaise suscité, au sein de la diplomatie française, par la ligne pragmatiqu­e de son successeur. Ce dernier s’est jusque-là limité à exiger un cessez-le-feu dans la région de la Ghouta orientale, bombardée sans relâche par le régime de Damas et son allié russe, et dans la région d’Afrine, où les forces turques pilonnent les Kurdes syriens.

«Je me sens à la fois solidaire et responsabl­e, poursuit François Hollande. Solidaire, parce que je n’oublie pas ce que les Kurdes ont pu faire pour permettre à la coalition de chasser Daech. Mais je me sens également responsabl­e pour la Ghouta […]. Ce n’est pas une coïncidenc­e si ces deux épreuves se déroulent au même moment. La Russie a laissé faire Ankara à Afrine et la Turquie va retirer une partie des rebelles qu’elle soutient de la Ghouta […]. Il est dès lors impératif d’affirmer que ces territoire­s ne peuvent plus être survolés, et notamment Afrine où c’est un pays extérieur à la Syrie qui utilise son aviation et qui, de surcroît, est un membre de l’OTAN.»

Responsabi­lité des «puissances démocratiq­ues»

Emmanuel Macron va-t-il tenir compte des suggestion­s de son prédécesse­ur? L’actuel président français est en tout cas prisonnier de ses propres engagement­s. Dès la fin mai 2017, celui-ci avait prévenu solennelle­ment que «toute utilisatio­n d’armes chimiques» en Syrie «fera l’objet d’une riposte immédiate» de la France, reprenant la rhétorique employée en août 2013 par Barack Obama après un bombardeme­nt

«Les lignes rouges ne peuvent concerner les seules armes chimiques»

FRANÇOIS HOLLANDE, ANCIEN PRÉSIDENT FRANÇAIS

au gaz sarin dans la Ghouta orientale attribué au régime de Bachar el-Assad. Les Etats-Unis avaient ensuite renoncé à frapper, alors que la France était à leurs côtés, prête à intervenir. Que faire aujourd’hui?

«Je ne veux pas compliquer un jeu qui l’est déjà beaucoup, juge François Hollande, proposant une interdicti­on de survol des zones concernées. Je pense que les puissances démocratiq­ues – j’insiste sur ce mot, démocratiq­ue – doivent prendre conscience de leur responsabi­lité […]. Les lignes rouges ne peuvent concerner les seules armes chimiques car cela implique à chaque fois de démontrer leur utilisatio­n et de prouver quel côté l’a fait.» Avec, toutefois, une certitude selon l’ex-président: «Bachar el-Assad a néanmoins gardé de telles armes et il n’hésite pas à continuer à y recourir, même s’il le fait de façon plus discrète et donc plus pernicieus­e encore.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland