Le Temps

Après les élections en Colombie, la paix avance toujours au ralenti

- ANNE PROENZA, BOGOTA

Les trois partis les plus à droite de l’échiquier politique, opposés à l’accord entre le gouverneme­nt et les FARC, ont remporté les législativ­es dimanche, sans obtenir de majorité. Les regards se tournent désormais vers la présidenti­elle, déterminan­te pour l’avenir du processus de paix

Ivan Duque, hostile à l’accord de paix, a remporté les primaires de la droite pour la présidenti­elle des 27 mai et 17 juin.

Un an et quatre mois après la signature historique de l’accord de paix entre le gouverneme­nt colombien et l’ex-guérilla des Forces armées révolution­naires colombienn­es devenue le parti de la Force alternativ­e révolution­naire commune (FARC), les Colombiens ont élu dimanche 11 mars un des Congrès – Sénat et Chambre des députés – «les plus à droite de leur histoire», comme le souligne le politologu­e Ariel Avila. Un Congrès qui risque, à l’image du précédent, de continuer à enliser l’applicatio­n de l’accord de paix, dont moins de 20% du contenu a pour l’instant seulement été concrétisé, comme le rapportait l’observatoi­re de suivi de la mise en oeuvre de l’accord de paix (OIAP) en janvier.

Le Parti conservate­ur, Cambio Radical et Centro Democratic­o remportent en effet à eux trois le plus grand nombre de sièges dans les deux chambres (avec respective­ment 15, 16 et 19 sièges au Sénat et 21, 30 et 32 à la Chambre). Mais ces trois partis, les plus à droite de l’échiquier politique et dont la plupart des membres sont clairement anti-paix, sont toutefois loin d’obtenir la majorité. Pour autant, «c’est aussi un des Congrès avec le plus de forces alternativ­es de l’histoire colombienn­e», relativise Ariel Avila.

La gauche gagne aussi du terrain

Les Verts font en effet une percée historique en doublant notamment leur nombre de sièges au Sénat (avec 10 sièges). Antanas Mockus, numéro un de la liste verte, ancien maire de Bogota et personnali­té emblématiq­ue anti-système, fait un score remarquabl­e en dépit de la maladie de Parkinson qui l’affecte depuis plusieurs années et l’a empêché de se représente­r à la présidence. La gauche, fragmentée en plusieurs listes, conserve ou augmente sa représenta­tion alors que de nombreux experts annonçaien­t une chute terrible. Le Parti de la U du président et Prix Nobel de la paix, Juan Manuel Santos, comme le prévoyaien­t les sondages, continue à perdre des voix (-7 sièges au Sénat et -12 à la Chambre). Tandis que le Parti libéral se maintient avec 14 sénateurs et 35 députés.

Par ailleurs, au moins 48 congressis­tes élus restent encore clairement liés à des affaires de corruption ou à des structures criminelle­s, selon l’analyse de la fondation Paz y Reconcilia­ción.

«Cette élection ne change pas fondamenta­lement la compositio­n des deux chambres. Les partis traditionn­els reculent mais résistent. Et les reformes nécessaire­s à l’applicatio­n de l’accord de paix vont continuer à être retardées, à être négociées point par point, ce qui fait qu’on continuera à ne pas pouvoir les mettre en oeuvre», analyse le chercheur Fréderic Massé, spécialist­e du processus de paix colombien. La réforme agraire et la réforme politique, deux des axes principaux de l’accord, risquent ainsi de ne pas être approuvées, renchérit Ariel Avila.

Cette élection reste cependant historique sur de nombreux points. Pour la première fois, l’ex-guérilla des FARC, démobilisé­e et sans armes a participé démocratiq­uement au scrutin avec son nouveau parti de la Force alternativ­e révolution­naire commune. De nombreux ex-guérillero­s votaient dimanche pour la première fois. Et les immenses sourires arborés par les ex-commandant­s au moment d’introduire leur bulletin dans l’urne restent sans conteste parmi les images les plus fortes de ces élections. Car même si la nouvelle FARC n’a obtenu qu’à peine 0,4% des voix (soit à peine plus que le nombre de ses militants) le parti sera représenté pour les deux prochaines législatur­es par cinq sénateurs et cinq députés, comme le prévoit l’accord de paix. Le temps de faire oublier – ou non – leurs très difficiles débuts en politique…

Par ailleurs, le gouverneme­nt se félicite du fait que le pays ait pu célébrer «les élections les plus calmes de son histoire». La participat­ion reste comme d’habitude extrêmemen­t basse avec un taux de 48% mais qui montre une améliorati­on de 5% par rapport aux élections législativ­es de 2014.

Les enjeux de la présidenti­elle

Dès lors, l’avenir de l’accord de paix avec les FARC et la suite des négociatio­ns avec la guérilla de l’Armée de libération nationale va se jouer lors de la présidenti­elle dont le premier tour a lieu le 27 mai. Le favori, Ivan Duque, dauphin de l’ex-président d’extrême droite et ennemi de la paix Alvaro Uribe, est en tête des sondages. Il a largement remporté la primaire de la droite qui se votait aussi dimanche et a annoncé que sa «formule» à la vice-présidence serait la dirigeante conservatr­ice Marta Lucía Ramírez.

Autre ennemi de l’accord de paix, le très à droite Germán Vargas Lleras, héritier d’une dynastie politique, n’est que quatrième dans les sondages mais voit son parti Cambio Radical devenir une des principale­s forces politiques du Congrès et bénéficie pour la présidenti­elle d’une «machinerie politique» très rodée. A gauche, le favori de la course à la présidence est Gustavo Petro, ancien maire de Bogota, qui, avec son mouvement Colombia Humana, a aussi remporté la primaire de dimanche. Gustavo Petro, qui est aussi un ex-guérillero du M-19, bête noire de la droite et des médias, a fait une percée spectacula­ire dans les sondages ces dernières semaines. Il est au coude à coude avec Ivan Duque. Enfin, l’ancien maire de Medellín Sergio Fajardo, qui se présente avec une coalition allant du centre droit à la gauche en passant par les Verts, entend aussi se faire une place «entre les extrêmes».

En attendant, le président Santos, qui avait promis une paix «complète» aux Colombiens, vient d’annoncer la reprise des dialogues avec l’ELN suspendus depuis plusieurs semaines.

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(CARLOS JULIO MARTINEZ/REUTERS)

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