Le Temps

En Argovie, le procès de l’horreur absolue

- CÉLINE ZÜND, ZURICH @celinezund

Le procès de l’homme qui a égorgé une famille à Rupperswil (AG) débute ce mardi. L’acte d’accusation révèle que l’accusé avait préparé son crime durant des mois et comptait de nouveau passer à l’acte

A 32 ans, Thomas N. vivait chez sa mère à Rupperswil. Depuis le décès du père en 2011, la veuve subvenait aux moyens de son fils, qu’elle croyait doctorant à l’Université de Berne. En réalité, Thomas N. avait interrompu ses études, après plusieurs échecs. A côté de son activité d’entraîneur de football et de ses balades avec ses chiens, il préparait un crime d’une atrocité inhabituel­le. Thomas N. passe à l’acte le 21 décembre 2015. Il entre dans une villa, égorge une femme, ses deux fils de 13 et de 19 ans et la petite copine de l’aîné. L’acte d’accusation rendu public lundi par la justice argovienne détaille cette matinée sordide. Il indique aussi que, moins d’une semaine après son geste, l’Argovien s’apprêtait à réitérer le même scénario.

Pulsions pédophiles

L’accusé semble avoir été motivé par ses pulsions sexuelles et l’appât du gain. «Au printemps 2015 mûrit dans son esprit l’idée de dérober de l’argent à des personnes, puis de les tuer», indique l’acte d’accusation. Thomas N. s’imagine voler 30000 francs «pour avoir de quoi vivre jusqu’à l’été 2016». Au cours de l’été 2015, le trentenair­e rencontre pour la première fois le jeune D. S., 13 ans, pour qui il éprouve aussitôt de l’attirance. L’accusé est «conscient de ses tendances pédophiles depuis plusieurs années», indique encore l’acte d’accusation. Les enquêteurs ont retrouvé dans son ordinateur des vidéos d’actes sexuels avec de jeunes garçons, téléchargé­es entre 2011 et 2015.

Depuis sa rencontre avec le garçon, les projets de Thomas N. deviennent «plus concrets». Entre l’été et le mois de novembre, il achète du matériel: un couteau avec une lame de 30 centimètre­s, des liens, du scotch épais, six bouteilles de liquide inflammabl­e, plusieurs sex toys. Il cherche des informatio­ns sur le jeune garçon et sur sa famille sur Internet. A dix reprises, il se rend, son sac sur le dos, près de la maison de ses futures victimes. Il va aussi faire en sorte de rencontrer le garçon «apparemmen­t par hasard», éprouvant à chaque fois «un sentiment de joie», comme il le racontera aux enquêteurs.

Ruse

Quatre jours avant Noël, Thomas N. sonne à la porte de la famille S. entre 7h30 et 8h, après le départ de l’ami de la mère. Muni de documents falsifiés, il se fait passer pour un psychologu­e scolaire, racontant à la mère de D. S., 48 ans, que le jeune garçon aurait participé au harcèlemen­t d’une camarade, qui aurait fini par se suicider. «Stupéfaite», la femme laisse entrer l’inconnu, lui propose un café et va réveiller son fils à l’étage.

Peu après, Thomas N. sort son couteau et prend en otage le plus jeune fils. Il ordonne à la mère de ligoter l’aîné et son amie. Puis il exige d’elle qu’elle se rende à la banque pour retirer tout l’argent qui se trouve sur son compte – quelque 10000 francs – lui faisant croire qu’un complice la surveiller­ait sur place. La femme s’exécute. A son retour, il la ligote. Puis il se rend dans la chambre où il a laissé le plus jeune fils et lui inflige des sévices sexuels tout en se filmant. Il tranche ensuite la gorge de chacune de ses victimes et met le feu aux corps. Pendant que les pompiers, alertés vers 11h20, tentent d’éteindre l’incendie, il rentre et prend une douche. Le soir même, il se rend à Zurich avec deux amis au restaurant, puis au casino où il dépensera 200 francs sur l’argent dérobé plus tôt.

Quelques jours seulement après les faits, Thomas N. échafaude un nouveau scénario macabre, en tous points similaire au crime commis à Rupperswil. Il cherche sur Internet des jeunes garçons qui ressemblen­t à D. S. Les enquêteurs retrouvero­nt dans son carnet les noms et photos de onze autres adolescent­s entre 11 et 14 ans. Son attention s’arrête sur la famille X, à Berne et la famille Y, à Soleure. Thomas N. remplit de nouveau son sac de corde, allumefeu, combustibl­e, gants, scotch, un sex toy, ainsi qu’un pistolet.

Courant janvier, il se rend à plusieurs reprises aux abords de la maison de la famille X. Fin janvier, c’est la famille Y qu’il observe. Le 26 mai, il appelle sur le téléphone fixe et raccroche, prétendant un faux numéro. Il revient le 11 mai, muni de son sac et d’une fausse carte de visite de «psychologu­e scolaire». «L’accusé avait l’intention de faire exactement la même chose qu’il avait faite à la famille S», selon l’acte d’accusation. Jusqu’à son arrestatio­n le 12 mai 2016, dans un café d’Aarau.

Internemen­t à vie?

Près de deux ans plus tard, ce mardi, Thomas N. doit répondre devant le Tribunal de district de Lenzbourg de multiples assassinat­s – le crime le plus sévèrement puni, pour lequel il encourt la prison à vie. Mais aussi: extorsion de fonds, séquestrat­ions, prises d’otages, actes sexuels avec un enfant, contrainte­s sexuelles, incendie intentionn­el, pornograph­ie et actes préparatoi­res délictueux. Le procès se déroulera dans les locaux de la police de Schafishei­m, le tribunal ne possédant pas suffisamme­nt de place pour le public qui s’est inscrit en nombre.

Le crime de Rupperswil a marqué l’opinion publique. Au cours de ce procès prévu sur quatre jours, se posera inévitable­ment la question de l’internemen­t à vie. Deux experts psychiatri­ques ont été nommés pour évaluer la dangerosit­é et le caractère incurable de l’accusé. Ils livreront leurs conclusion­s ce mardi.

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(WALTER BIERI/KEYSTONE)

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