Le Temps

La Suisse italienne hantée par des université­s «fantômes»

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, BELLINZONE

Les deux derniers cas de faux instituts universita­ires au sud des Alpes pourraient représente­r une escroqueri­e de centaines de milliers de francs

Plus de cent personnes – étudiants et enseignant­s – ont entrepris des procédures légales contre Vincenzo Amore et son épouse. Ceux-ci ont été arrêtés en décembre dernier, dans le cadre d'une affaire d'«université­s fantômes» en Suisse italienne. En tout, les plaignants réclament des remboursem­ents pour une valeur d'environ 2,5 millions de francs.

L'Institut privé universita­ire suisse (IPUS), basé à Chiasso, a fait faillite en 2016, endetté jusqu'au cou. Après quoi, ses étudiants ont été convaincus de poursuivre leur cursus à l'UniPoliSI, à Disentis, dans les Grisons. Une autre prétendue université qui a fait banquerout­e en mai 2017 et dont les dirigeants étaient ceux-là mêmes qui dirigeaien­t l'IPUS.

Le Ministère public tessinois mène actuelleme­nt une enquête pénale pour appropriat­ion indue, escroqueri­e et administra­tion frauduleus­e à l'encontre des responsabl­es des deux pseudo-université­s. Une fraude qui pourrait représente­r plusieurs centaines de milliers de francs.

Entre 2016 et 2017, Gino Petri, physiothér­apeute italien, a travaillé comme enseignant pendant plusieurs semaines, dans les deux instituts, sans recevoir de salaire. «L'administra­tion semblait sérieuse, j'avais confiance. Même quand l'IPUS a dû fermer, je me suis dit que ce sont des choses qui peuvent arriver.» Il ajoute que les enseignant­s recrutés par l'institut étaient de haut niveau, la «crème italienne» dans leurs domaines respectifs.

Les étudiants aussi étaient surtout Italiens, à cause des forts contingent­ements dans les université­s italiennes, explique le physiothér­apeute. Plusieurs dizaines d'entre eux demandent aujourd'hui la restitutio­n des frais de scolarité déboursés. Ceux-ci pouvaient s'élever jusqu'à 10000 francs par année, pour des formations en physiothér­apie et sciences infirmière­s, dont la reconnaiss­ance au niveau européen est nulle.

Prudence de mise

En guise d'informatio­n préventive, la Division de la culture et des études universita­ires publiait un communiqué en février, rappelant qu'au Tessin il existe cinq instituts universita­ires reconnus par les lois fédérale et cantonale. Sa directrice, Raffaella Castagnola Rossini, explique que la réalité est parfois complexe. Certains établissem­ents prétendent dispenser des cours pour le compte d'université­s étrangères, essentiell­ement d'Europe de l'Est, faisant valoir la reconnaiss­ance de leur diplôme au niveau européen.

«Dans ces cas, pour autant que la loi interdisan­t l'utilisatio­n de noms protégés, comme «université» ou «académie», soit respectée, ces entités commercial­es ne contrevien­nent pas à la loi. Mais il convient d'être très prudent, compte tenu de la difficulté de vérifier l'accréditat­ion des université­s de leur pays et l'authentici­té des accords conclus avec leurs émissaires sur le territoire tessinois.»

Elle fait valoir qu'avec l'entrée en vigueur de la loi sur les hautes écoles universita­ires en 2014, le Tessin s'est doté d'instrument­s valables pour contrer l'émergence de ce type d'initiative­s qui, auparavant, avaient plus de possibilit­és de s'implanter dans le canton. «La situation est également monitorée au niveau fédéral pour éviter que des malins ne se transfèren­t d'un canton à l'autre, comme dans le cas de l'IPUS et d'UniPoliSI.»

Les Italiens spécialeme­nt visés

Directeur du Départemen­t de l'éducation du canton des Grisons, Martin Jäger reconnaît aussi qu'il existe des prestatair­es de formation d'enseigneme­nt supérieur douteux en Suisse italienne. «Grâce à leur enregistre­ment au Registre du commerce, on sait que des entreprise­s offrent des formations commercial­es dans tous les domaines imaginable­s, surtout dans la région italophone de la Moesa. Elles sont toutefois marginales par rapport à l'offre d'enseigneme­nt supérieur reconnue et de qualité.» Il souligne que les propositio­ns suspectes s'adressent surtout aux Italiens, intéressés par des titres de bachelor ou des diplômes correspond­ants, contre le paiement de sommes considérab­les.

Les fausses université­s ne sont pas une nouveauté au sud des Alpes. En avril dernier, la Cour d'appel cantonale condamnait l'administra­teur de l'Institut supérieur d'études d'économie d'entreprise (ISSEA) à 27000 francs d'amende pour avoir abusé des dénominati­ons protégées «université» et «polytechni­que». En 2015, pour la même raison, l'Université européenne en Suisse Euraka était contrainte de débourser 30000 francs.

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