La Suisse italienne hantée par des universités «fantômes»
Les deux derniers cas de faux instituts universitaires au sud des Alpes pourraient représenter une escroquerie de centaines de milliers de francs
Plus de cent personnes – étudiants et enseignants – ont entrepris des procédures légales contre Vincenzo Amore et son épouse. Ceux-ci ont été arrêtés en décembre dernier, dans le cadre d'une affaire d'«universités fantômes» en Suisse italienne. En tout, les plaignants réclament des remboursements pour une valeur d'environ 2,5 millions de francs.
L'Institut privé universitaire suisse (IPUS), basé à Chiasso, a fait faillite en 2016, endetté jusqu'au cou. Après quoi, ses étudiants ont été convaincus de poursuivre leur cursus à l'UniPoliSI, à Disentis, dans les Grisons. Une autre prétendue université qui a fait banqueroute en mai 2017 et dont les dirigeants étaient ceux-là mêmes qui dirigeaient l'IPUS.
Le Ministère public tessinois mène actuellement une enquête pénale pour appropriation indue, escroquerie et administration frauduleuse à l'encontre des responsables des deux pseudo-universités. Une fraude qui pourrait représenter plusieurs centaines de milliers de francs.
Entre 2016 et 2017, Gino Petri, physiothérapeute italien, a travaillé comme enseignant pendant plusieurs semaines, dans les deux instituts, sans recevoir de salaire. «L'administration semblait sérieuse, j'avais confiance. Même quand l'IPUS a dû fermer, je me suis dit que ce sont des choses qui peuvent arriver.» Il ajoute que les enseignants recrutés par l'institut étaient de haut niveau, la «crème italienne» dans leurs domaines respectifs.
Les étudiants aussi étaient surtout Italiens, à cause des forts contingentements dans les universités italiennes, explique le physiothérapeute. Plusieurs dizaines d'entre eux demandent aujourd'hui la restitution des frais de scolarité déboursés. Ceux-ci pouvaient s'élever jusqu'à 10000 francs par année, pour des formations en physiothérapie et sciences infirmières, dont la reconnaissance au niveau européen est nulle.
Prudence de mise
En guise d'information préventive, la Division de la culture et des études universitaires publiait un communiqué en février, rappelant qu'au Tessin il existe cinq instituts universitaires reconnus par les lois fédérale et cantonale. Sa directrice, Raffaella Castagnola Rossini, explique que la réalité est parfois complexe. Certains établissements prétendent dispenser des cours pour le compte d'universités étrangères, essentiellement d'Europe de l'Est, faisant valoir la reconnaissance de leur diplôme au niveau européen.
«Dans ces cas, pour autant que la loi interdisant l'utilisation de noms protégés, comme «université» ou «académie», soit respectée, ces entités commerciales ne contreviennent pas à la loi. Mais il convient d'être très prudent, compte tenu de la difficulté de vérifier l'accréditation des universités de leur pays et l'authenticité des accords conclus avec leurs émissaires sur le territoire tessinois.»
Elle fait valoir qu'avec l'entrée en vigueur de la loi sur les hautes écoles universitaires en 2014, le Tessin s'est doté d'instruments valables pour contrer l'émergence de ce type d'initiatives qui, auparavant, avaient plus de possibilités de s'implanter dans le canton. «La situation est également monitorée au niveau fédéral pour éviter que des malins ne se transfèrent d'un canton à l'autre, comme dans le cas de l'IPUS et d'UniPoliSI.»
Les Italiens spécialement visés
Directeur du Département de l'éducation du canton des Grisons, Martin Jäger reconnaît aussi qu'il existe des prestataires de formation d'enseignement supérieur douteux en Suisse italienne. «Grâce à leur enregistrement au Registre du commerce, on sait que des entreprises offrent des formations commerciales dans tous les domaines imaginables, surtout dans la région italophone de la Moesa. Elles sont toutefois marginales par rapport à l'offre d'enseignement supérieur reconnue et de qualité.» Il souligne que les propositions suspectes s'adressent surtout aux Italiens, intéressés par des titres de bachelor ou des diplômes correspondants, contre le paiement de sommes considérables.
Les fausses universités ne sont pas une nouveauté au sud des Alpes. En avril dernier, la Cour d'appel cantonale condamnait l'administrateur de l'Institut supérieur d'études d'économie d'entreprise (ISSEA) à 27000 francs d'amende pour avoir abusé des dénominations protégées «université» et «polytechnique». En 2015, pour la même raison, l'Université européenne en Suisse Euraka était contrainte de débourser 30000 francs.
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