Le Temps

Ce qui a changé dans la politique européenne de la Suisse

- FRANÇOIS NORDMANN

La politique européenne de la Suisse a évolué sur six points importants au cours des six derniers mois.

• Le Conseil fédéral a décidé d’aller de l’avant et de conclure la négociatio­n de l’accord institutio­nnel: c’était loin d’être acquis en 2017.

• Il est déterminé à avancer rapidement et à terminer la négociatio­n cette année encore, de manière à pouvoir mettre en consultati­on son message sur les questions institutio­nnelles en 2018. Il y voit un avantage pour la sécurité du droit et la stabilité de notre économie.

• Il présente une contre-propositio­n au chapitre du règlement des différends, le dossier le plus difficile de la négociatio­n. Il élargit la portée du mécanisme d’arbitrage tel que proposé par JeanClaude Juncker, président de la Commission européenne, lors de sa visite à Berne le 23 novembre dernier et cherche à atténuer d’autant l’impact du droit européen et celui des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne sur le droit suisse.

• Il écarte toutes les idées de relance et d’extension de la négociatio­n qui avaient fleuri depuis le départ du conseiller fédéral Didier Burkhalter: pas de reset, pas de «bilatérale­s III» (nouveaux accords d’accès au marché); pas de demande d’abolition de la clause guillotine qui lie entre eux les accords bilatéraux de 1999. Il se concentre sur le mandat qu’il s’est donné en 2013 tout en le précisant quelque peu. En revanche il maintient ses «lignes rouges»: mesures d’accompagne­ment pour éviter le dumping social, refus d’autoriser la libre circulatio­n pour les citoyens européens qui ne sont pas au bénéfice d’un contrat de travail.

• Il fixe les limites de la discussion sur les aides d’Etat soulevée par l’UE – une autorité de surveillan­ce sera créée par chacun des partenaire­s, les modalités sont renvoyées à la négociatio­n de l’accord sur l’électricit­é et l’énergie que le Conseil fédéral propose de reprendre parallèlem­ent.

• Enfin le Conseil fédéral peut s’appuyer aujourd’hui sur les partis socialiste et libéral-radical qui ont abandonné la position attentiste qu’ils avaient adoptée l’an dernier. En 2017, le monde politique s’apprêtait à défendre un éventuel contre-projet à l’initiative «RASA», qui ne s’est pas matérialis­é. Les partis se préparaien­t aussi à combattre l’initiative de l’UDC pour la suprématie du droit national. Ils avaient donc renvoyé l’accord-cadre à la prochaine législatur­e.

A Berne, le président Juncker avait insisté au contraire sur la nécessité d’aller plus vite. Joignant le geste à la parole, la Commission a, peu après, limité à une année la reconnaiss­ance de l’équivalenc­e boursière, pour bien appuyer le message. Les responsabl­es politiques l’ont compris. Ils ont réalisé que, dans ces conditions, ils ne pouvaient plus retarder le traitement de l’accord institutio­nnel. Ils ont modifié leur calendrier en conséquenc­e. Il fallait voir à Arena l’autre semaine la scène d’un Christian Levrat des plus sérieux adresser des remercieme­nts appuyés à sa collègue Petra Gössi, présidente du parti libéral-radical, plutôt embarrassé­e, pour le virage amorcé par son groupe…

Le Parti démocrate-chrétien tergiverse encore mais finira sans doute par se rallier aux autres partis gouverneme­ntaux. Ainsi la situation reproduit celle de 2016, lorsque les trois partis s’étaient alliés contre l’UDC pour rédiger la loi d’applicatio­n de l’article constituti­onnel sur l’immigratio­n «de masse». Les groupes parlementa­ires s’étaient rapprochés en raison du blocage du Conseil fédéral: cette fois, le gouverneme­nt habilement présidé par Alain Berset prend ses responsabi­lités et n’entend pas se dessaisir de la question.

Il existe encore des velléités de ménager l’UDC et de retarder l’échéance, notamment à la présidence du PDC. Mais les milieux de l’économie ont fait leur choix: l’initiative populaire contre la libre circulatio­n lancée par l’UDC est une menace pour la vie économique. Elle rend d’autant plus importante la consolidat­ion de nos liens avec l’Union européenne par le biais d’un accord sur les questions institutio­nnelles.

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