Le Temps

Vers un durcisseme­nt généralisé de la fiscalité française sur l’immobilier

- ARNAUD JOUANJAN AVOCAT ASSOCIÉ, CABINET JOUANJAN & PARTNERS, ANNECY, MARSEILLE, PARIS. ARNAUD@JOUANJAN.COM

Les nuages qui s'amoncellen­t en toute discrétion au-dessus de la tête des propriétai­res de biens immobilier­s pourraient bien en amener certains à repenser leur patrimoine dès à présent.

Le fléchage de l'épargne vers les marchés financiers commencera­it-il par la faire sortir de l'immobilier?

1•CERTAINS NUSPROPRIÉ­TAIRES PAYERONT L’IFI

Le nouvel impôt sur la fortune immobilièr­e (IFI) remplace l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et ne porte que sur la fortune immobilièr­e. Mais il réserve une première surprise de taille: jusqu'ici, seuls les usufruitie­rs payaient l'ISF comme s'ils étaient pleins propriétai­res. C'était logique, car l'usufruitie­r d'un bien peut l'utiliser ou le louer. Il a les ressources pour payer l'impôt. Quant aux nus-propriétai­res, qui ne perçoivent rien, ils restaient hors du champ de l'ISF.

Lors d'une succession sans testament, l'époux survivant peut opter pour l'usufruit et laisser la nue-propriété aux enfants. En attendant, l'époux survivant utilise ou loue le bien et paie l'ISF. C'est le démembreme­nt légal de la propriété. Mais un démembreme­nt rigoureuse­ment identique peut aussi résulter d'un testament ou d'une donation.

Désormais, lorsque le démembreme­nt résulte de la loi, l'IFI est réparti entre les nus-propriétai­res et les usufruitie­rs en proportion de la valeur de leur part de détention. Lorsqu'il résulte d'une donation ou d'un testament, l'usufruitie­r continuera à payer seul l'ISF. Allez savoir pourquoi.

Or, beaucoup de propriétai­res n'ont pas vu l'intérêt de prévoir un démembreme­nt par testament ou donation puisque la loi offre cette possibilit­é par voie d'option au moment du décès. Des milliers de nus-propriétai­res vont ainsi devoir, dès 2018, déclarer et payer un IFI alors qu'ils étaient totalement hors du champ de l'ancien ISF, même pour des succession­s anciennes.

Ainsi, un patrimoine de 5 millions d'euros légué par testament par un défunt à son épouse de 68 ans en usufruit et à leur fille unique en nue-propriété continuera d'être imposé intégralem­ent au nom de l'épouse survivante. Le même bien reçu par succession sans testament par la même épouse et la même fille unique deviendra imposable chez l'épouse à hauteur de 2 millions et chez leur fille à hauteur de 3 millions d'euros.

La nouvelle règle, pourtant validée par le Conseil constituti­onnel, est injuste pour de nombreux nus-propriétai­res. Elle peut être terrible en cas de mésentente familiale.

2•DETTES PLUS DIFFICILES À DÉDUIRE

Les règles de déductibil­ité des dettes ont été durcies pour l'IFI. Désormais, les prêts intra-familiaux deviennent difficilem­ent déductible­s. Des restrictio­ns parfois redoutable­s s'appliquent aussi aux prêts in fine.

Pour les patrimoine­s immobilier­s supérieurs à 5 millions d'euros, seule une partie de la dette reste déductible, ce qui va créer un dangereux effet de seuil et donnera lieu à des discussion­s sans fin sur la valeur réelle du bien en question.

3•LA LOCATION MEUBLÉE N’EST PLUS CE QU’ELLE ÉTAIT

En location meublée, on peut amortir le bien et souvent récupérer la TVA. Ce n'est pas le cas en location non meublée, ce qui a suscité en France un engouement pour la constructi­on et l'achat de résidences de tourisme, résidences pour étudiants, établissem­ents d'accueil pour personnes âgées dépendante­s, etc.

Un récent rapport remis au gouverneme­nt préconise d'«aligner le régime de la location meublée sur celui de la location nue». Cette phrase anodine annonce une petite révolution dans la location meublée, de nature à inquiéter les investisse­urs. Affaire à suivre.

4•ABATTEMENT POUR DURÉE DE DÉTENTION MENACÉ

L'abattement pour durée de détention a pour effet une réduction graduelle du montant imposable pouvant aboutir à une exonératio­n totale d'une plus-value immobilièr­e.

Le même rapport récent préconise de remplacer cet abattement par un simple coefficien­t d'érosion monétaire neutralisa­nt l'inflation. Ce serait la fin des exonératio­ns de plus-values pour les investisse­urs patients.

Cette règle peut venir bouleverse­r l'équilibre financier de certaines opérations patrimonia­les puisque certaines plus-values actuelleme­nt exonérées ou réduites deviendrai­ent, du jour au lendemain, intégralem­ent imposables au taux pressenti de 36,2% (19% d'impôt sur le revenu+ 17,2% de prélèvemen­ts sociaux éventuelle­ment contestabl­es par les résidents suisses).

C'est une redéfiniti­on radicale de la fiscalité immobilièr­e française qui se prépare. On dit qu'elle pourrait faire l'objet d'une loi dès ce printemps.

De quoi inciter les propriétai­res suisses de biens immobilier­s français à réagir en examinant très rapidement leurs investisse­ments et leur stratégie immobilièr­e: revendre, vendre à une société familiale, refinancer, faire une donation, un testament, réorganise­r la situation locative, notamment, sont autant de pistes à explorer de toute urgence. Cette opération peut être l'occasion d'une planificat­ion successora­le fiscalemen­t très efficace.

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