Evasion fiscale: en finir avec le chantage des multinationales
Deux ans après leurs révélations, la bombe des Paradise Papers a de nouveau provoqué l'indignation des citoyens, contraints de payer leurs impôts alors que les riches et les multinationales échappent à cette obligation, sans courir le moindre risque. L'évasion fiscale est, à n'en plus douter, la face sombre de la mondialisation.
Le plus choquant, pour les citoyens, est de percevoir que les multinationales ne paient pas d'impôts de façon légale. Dans le système fiscal international actuel, chacune de leurs filiales est considérée comme une entreprise indépendante. Il suffit donc aux multinationales de fixer de façon artificielle les prix des échanges entre leurs filiales pour que les bénéfices soient enregistrés dans les pays où les impôts sont moins élevés, et non pas là où se déroulent les activités économiques réelles. Les économistes appellent cette manipulation le «système de prix de transfert».
Le recours par les multinationales à ce tour de passe-passe exacerbe la concurrence fiscale entre les pays, incités à adopter des taux d'imposition toujours plus bas. Et la réduction significative du taux d'imposition des sociétés adoptée par les Etats-Unis (de 35 à 21%) ne va rien arranger. En Inde, au Mexique, au Brésil et dans d'autres pays en développement, les responsables politiques déclarent déjà qu'ils devront suivre la tendance pour rester compétitifs, attirer les investissements et créer (ou sauver) des emplois.
Tous les pays ont le droit d'être compétitifs. Ils peuvent le faire de plusieurs façons, par exemple en développant leurs systèmes d'éducation et leurs infrastructures. Mais voler les recettes fiscales d'autres pays ne devrait pas être autorisé, et les multinationales devraient cesser de menacer les gouvernements de quitter leur pays, à moins que les impôts ne soient réduits. Ce chantage est inacceptable: le premier principe fondamental de la responsabilité sociale des entreprises doit être de payer leur juste part d'impôts là où elles opèrent.
Cette course au nivellement de la fiscalité vers le bas a des effets dévastateurs, en particulier sur les pays en développement, qui dépendent plus de l'impôt sur les sociétés: il représente en moyenne 16% de leurs recettes fiscales contre 8% dans les pays développés. Des rentrées fiscales inférieures signifient moins de financement pour l'éducation, la santé, les programmes de réduction de la pauvreté, l'infrastructure et la lutte contre les changements climatiques.
Pour les pays en développement, il est maintenant clair que la réforme du système fiscal mondial proposée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 est loin d'être suffisante. Connue sous le nom de «projet BEPS» (Erosion de la base d'imposition et transfert des bénéfices), elle pousse notamment à la déclaration dans chaque pays des bénéfices et des impôts payés par les plus grandes multinationales, ainsi qu'à un échange d'informations entre les pays.
Mais ce projet permet toujours aux entreprises de déclarer leurs bénéfices là où elles le souhaitent afin de profiter d'une fiscalité très avantageuse. Ces règles restent donc très préjudiciables aux pays en développement, les principales multinationales venant des pays riches.
La Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés (Icrict, selon le sigle en anglais), que je préside, a évalué les propositions alternatives à ce système dans un rapport récent. Nous insistons pour que les multinationales soient imposées en tant qu'entreprises uniques, et non pas comme une myriade de filiales artificiellement indépendantes. La répartition des bénéfices globaux et des impôts dépendrait ainsi de facteurs tels que les ventes, l'emploi et les ressources utilisées. L'Union européenne étudie actuellement une proposition allant dans ce sens.
Bien entendu, dans ce système, les pays seraient encore en mesure de se faire concurrence en abaissant leur taux d'imposition des sociétés pour encourager les investissements ou la délocalisation des activités, comme ils le font actuellement. C'est pourquoi, dans notre proposition, les pays conviendraient également d'un taux minimal d'imposition des sociétés d'au moins 15 à 25%.
En attendant, les pays en développement ne doivent pas attendre les bras croisés. Ils doivent forcer le changement par le biais de la coopération régionale – par exemple, en fixant un taux minimum d'imposition des sociétés dans leur région. Ils ne peuvent pas espérer qu'une solution juste vienne de l'OCDE, un club de pays riches. L'Organisation des Nations unies est, en réalité, le seul espace dans lequel tous les pays et leurs sociétés civiles puissent débattre de la réforme du système fiscal mondial.
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Le plus choquant, pour les citoyens, est de percevoir que les multinationales ne paient pas d’impôts de façon légale