Le matin calme des Jeux paralympiques
SPORT HANDICAP La Corée du Sud, où les personnes en situation de handicap restent peu visibles et peu considérées, peine à se passionner pour l’événement qui a débuté vendredi et se déroule jusqu’à dimanche
Il règne une ambiance familiale dans la station de ski d’Alpensia, où se déroulent les épreuves de parabiathlon. En ce premier jour des Jeux paralympiques de Pyeongchang, en Corée du Sud, de petits groupes de supporters venus soutenir les athlètes de leur pays se sont installés çà et là, laissant apparaître des gradins clairsemés. Les Sud-Coréens ne semblent pas particulièrement nombreux. Ils peinent à se passionner pour l’événement même si, comme lors des Jeux olympiques qui ont pris fin le 25 février dernier, ils demeurent plus captivés par les sports de glace que de neige: certaines rencontres de parahockey et de curling en fauteuil roulant se disputent à guichets fermés dans la ville de Gangneung, sur la côte.
Les spectateurs présents à Alpensia sont pour la plupart des proches des athlètes, ou des membres de fédérations handisports. De l’espace réservé aux personnes en fauteuil roulant, Myriam Lebreton assiste à ses troisièmes Jeux paralympiques après ceux de Vancouver en 2010, puis de Sotchi quatre ans plus tard. Elle a déjà l’impression que cette édition sud-coréenne, d’une ampleur pourtant inédite de par le nombre de nations et d’athlètes participants, attire moins les foules. «Il n’y a pas la ferveur que l’on a pu trouver dans d’autres pays. Les tribunes ne sont pas pleines comme ce fut le cas en Russie ou, dans une moindre mesure, au Canada.» Pour cette spectatrice avertie, ces Jeux ont pourtant un enjeu majeur: «Le handicap n’est pas très visible en Corée, donc ils constituent un réel moyen de sensibilisation.»
Briser le mur
Les Jeux paralympiques ont une histoire toute particulière avec la Corée du Sud. Dans son discours à la cérémonie d’ouverture, vendredi dernier, le président du comité d’organisation Lee Hee-beom l’a rappelé: «Les Jeux paralympiques étaient à l’origine organisés pour aider les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale à se réadapter physiquement et mentalement; ce ne fut qu’à partir des Jeux paralympiques d’été de 1988 à Séoul qu’ils ont commencé à se dérouler dans les villes hôtes des JO.» En 2018, cet événement international met néanmoins en lumière des lacunes persistantes et des années de stigmatisation à l’égard des personnes en situation de handicap au pays du Matin calme.
Une prise de conscience tardive a conduit l’administration du président sud-coréen Moon Jae-in à se retrousser les manches. «Nous prévoyons d’utiliser 14,9 milliards de wons [13,92 millions de francs suisses] cette année pour rénover les installations sportives existantes, afin que les personnes handicapées puissent les utiliser», a déclaré le ministre des Sports la semaine dernière. Lors de la conférence internationale paralympique de Pyeongchang, le gouvernement a annoncé vouloir faciliter l’accès quotidien au sport à au moins 500000 personnes souffrant d’un handicap dans le but de briser le mur qui les sépare des «valides».
Il semble bien réel au sein de la population sud-coréenne. Emmitouflée dans sa combinaison aux couleurs bigarrées des Olympiades, Bérénice, une expatriée française de 22 ans, brave le froid pour guider gracieusement les visiteurs pendant toute la durée des Jeux paralympiques. «Beaucoup de bénévoles sud-coréens n’avaient jamais vu un amputé, par exemple. Il est important de montrer de la solidarité et d’encourager les athlètes surmontant leur handicap car ce qu’ils font est admirable. Je regrette que l’on n’en parle pas plus dans les médias locaux», souffle-t-elle. D’après l’institut de sondage Realmeter, les deux tiers des Sud-Coréens ne connaissaient pas les dates de l’événement une semaine avant qu’il ne commence…
La couverture télévisée des Jeux paralympiques est largement moindre en Corée du Sud que dans d’autres pays. Les trois grandes chaînes de télévision nationales – KBS, MBC et SBS – avaient chacune planifié entre dix-huit et trente heures de programmes dédiés à l’événement, contre soixante à cent heures d’émissions prévues aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni ou encore au Japon. Face à un embarrassant mouvement de protestation, la KBS a fait amende honorable et décidé cette semaine d’augmenter ses retransmissions à trente-quatre heures. C’est encore beaucoup moins que les cent cinquante heures consacrées aux JO.
Désaccord entre les deux Corées
Dans un tableau général où l’engouement se fait attendre, la curiosité des locaux est piquée, comme lors des Jeux olympiques, par la présence d’une délégation nord-coréenne. Cette participation, nouveau signe encourageant quant à un réchauffement des relations sur la péninsule, a pourtant été à l’origine de la première déception des Jeux paralympiques: le projet de voir les athlètes des deux Corées unies sous la même bannière lors de la cérémonie d’ouverture a été annulé à la veille du défilé. Séoul et Pyongyang ne seraient pas parvenus à se mettre d’accord sur le fait de marcher sous un drapeau de l’unification montrant Dokdo, les îlots les plus à l’est de la Corée, que le Japon revendique comme étant son propre territoire.
Les spéculations continuent à aller bon train sur cet incident: certains observateurs estiment que la présence d’un «déserteur» nord-coréen dans l’équipe de parahockey sud-coréenne aurait été insurmontable pour le Nord, même pour des «Jeux de la paix».
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Les spectateurs sont pour la plupart des proches des athlètes, ou des membres de fédérations handisports