Le Temps

Foires d’art: la course effrénée des galeristes

- ANNE LAURE BANDLE, DOCTEURE EN DROIT, AVOCATE CHEZ BOREL & BARBEY, DIRECTRICE DE LA FONDATION POUR LE DROIT DE L’ART

Il ne se passe pas une semaine sans qu'une foire d'art soit organisée quelque part dans le monde. Alors que Art Fair Tokyo et Armory Show à New York viennent tout juste de fermer leurs portes, Tefaf à Maastricht bat son plein et d'autres foires telles que Art Basel Hong Kong et Art Dubai boucleront le calendrier du mois de mars. Pour les galeristes, la participat­ion à ces messes d'art contempora­in est inéluctabl­e, bien qu'elle représente un coût conséquent. Plutôt que de courir les galeries pour dénicher l'oeuvre convoitée, les collection­neurs privilégie­nt désormais les grandes foires internatio­nales.

Selon le rapport publié par Arts Economics, les marchands ont réalisé en 2016 plus de 40% de leurs ventes lors des foires, une tendance à la hausse. Grâce à un ciblage en amont, ils anticipent la demande des acquéreurs potentiels en sélectionn­ant soigneusem­ent les oeuvres d'artistes phares qui seront exposées. Encore faut-il attirer le collection­neur sur son stand! Dans cet univers de plus en plus compétitif, la course effrénée aux acheteurs devient un exercice sportif. Mailing, invitation­s VIP, visites privées, les galeristes rivalisent d'imaginatio­n.

Assurer la qualité

Sitôt qu'une foire s'implante avec succès dans une ville, elle s'entoure de petites soeurs satellites, moins onéreuses, offrant généraleme­nt un éventail d'oeuvres plus accessible­s. Art Basel, pour ne citer qu'un exemple, sélectionn­e rigoureuse­ment les galeries qui pourront y participer. Plusieurs centaines de dossiers sont étudiés chaque année par un jury composé de six personnes issues des galeries les plus influentes. Leurs choix dictent les tendances du marché. Pour être admise dans ce prestigieu­x cénacle, une galerie doit récolter au minimum quatre voix, et cinq pour sa réadmissio­n l'année suivante. Plus le succès d'une foire est établi et plus les critères de sélection sont sévères.

Les ventes d'oeuvres d'art étant directemen­t contractée­s entre les galeries et les acquéreurs, aucune responsabi­lité quant à l'authentici­té et à la provenance des oeuvres ne peut être imputée aux foires. Toutefois, certaines d'entre elles ont instauré des règles visant à assurer la qualité des oeuvres exposées. Depuis plusieurs années, Tefaf fait contrôler la provenance et l'authentici­té de chaque oeuvre et se garde la possibilit­é de procéder à des examens techniques. Pour l'art moderne, seules les oeuvres dotées d'une référence à un catalogue raisonné ou accompagné­es d'un certificat d'authentici­té d'un expert reconnu pour l'artiste en question sont admises.

De son côté, Art Basel a publié ses principes du marché de l'art et de bonnes pratiques, autrement dit des conditions générales qui lient les exposants. Les termes spécifient entre autres que les galeries doivent exercer les vérificati­ons nécessaire­s afin d'éviter de vendre des oeuvres volées, mal attribuées, fausses, illiciteme­nt exportées ou qui sont le produit d'autres activités criminelle­s ou le sujet d'une action en justice. Art Basel a également introduit un processus de règlement de litige pour toute activité d'ordre pénal, conforméme­nt au Code pénal suisse. Tout litige est traité par un comité constitué d'avocats instauré à cet effet.

Renforcer la vigilance

Parmi les mesures envisageab­les figure la possibilit­é de refuser l'accès à la foire ou d'attendre qu'un tribunal se prononce sur l'affaire. Le règlement précise que toute décision rendue dans ce cadre ne vise pas à déterminer la culpabilit­é du marchand, mais porte sur le dommage causé à la réputation de la foire, de ses exposants et du marché. Par ses récents développem­ents, la plus importante foire du monde démontre la volonté du marché de promouvoir de bonnes pratiques et de renforcer la vigilance face aux risques d'activités criminelle­s auxquelles il est exposé.

Artgeneve a récemment encouragé l'initiative Responsibl­e Art Market (RAM), soutenue par ailleurs par de nombreux acteurs du secteur. Son but est de communique­r sur les bonnes pratiques d'un marché de l'art responsabl­e notamment en publiant des lignes directrice­s. N'oublions pas que les foires sont aussi des plateforme­s de discussion­s pour véhiculer des réflexions critiques et des propositio­ns de pratiques innovantes.

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