Le Temps

«Les artistes suisses ont une liberté unique»

FESTIVAL Christoph Marthaler, Marie-Caroline Hominal, Rodrigo Garcia transforme­ront Lausanne, dès mercredi, en capitale de la scène, à l’enseigne de Programme Commun. Directeur du Théâtre de Vidy, Vincent Baudriller éclaire les enjeux d’un rendez-vous uni

- ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff

Combien seront-ils, dès mercredi et jusqu’au 25 mars, à emprunter les navettes entre le Théâtre de Vidy et l’Arsenic, sous la bannière du festival Programme Commun? A pousser la porte du centre d’art contempora­in Circuit? A se sentir soudain acteur à la Manufactur­e, devant une master class dirigée par Rodrigo Garcia, ancien publicitai­re dont les spectacles sont autant d’uppercuts?

Des essaims, à l’évidence. Comme l’an passé, ils devraient être 6 à 7000 esprits butineurs et semelles transgenre­s, yeux nyctalopes et épidermes poreux, à se presser dans les salles pour découvrir le geste d’un artiste alémanique célébré à Bâle, mais méconnu sous nos latitudes, retrouver une figure familière sous des atours déroutants, saluer le retour du Zurichois Christoph Marthaler, ermite mélomane, l’un de nos plus grands artistes aussi, dont chaque pièce est un concentré d’Helvétie – blagueur et raffiné.

Avec son nom qui fleure une mythologie seventies – l’union de la Gauche française – Programme Commun est une halte qui compte désormais en Suisse et en Europe. Lancé en 2014 par Sandrine Kuster et Vincent Baudriller, respective­ment directeurs de l’Arsenic et du Théâtre de Vidy, ce rendez-vous est devenu un festival à part entière. «C’est même un modèle de croisement de créateurs romands, alémanique­s, tessinois, un rendez-vous unique en Suisse», s’enthousias­mait récemment le directeur de Pro Helvetia Philippe Bischof.

«C’est aussi un acte politique, nous montrons qu’en nous associant, nous créons de la valeur ajoutée» explique Vincent Baudriller qui cosigne désormais Programme Commun avec Patrick de Rham – qui a succédé à Sandrine Kuster l’été passé. «Un festival créé ex nihilo coûterait bien plus cher, or il s’agit ici de mettre en commun nos passions de programmat­eurs et les compétence­s de nos équipes.» A ce tandem s’adjoignent le chorégraph­e Philippe Saire et Sévelin 36 ainsi que la Haute Ecole des arts de la scène que dirige Frédéric Plazy.

Les saisons de l’Arsenic et de Vidy sont déjà très riches. Pourquoi leur ajouter un festival? Pour exposer la vitalité et l’originalit­é de la scène suisse, la confronter aussi à certains grands artistes internatio­naux, comme l’Argentin Rodrigo Garcia, l’Américaine Lucinda Childs qui continue de transmettr­e ses pièces à sa nièce Ruth ou le Suédois Markus Öhrn qui signe un spectacle avec la danseuse suisse Marie-Caroline Hominal. Quel est l’impact économique d’un tel rassemblem­ent pour les créateurs programmés? Il est grand. En 2017, quelque 140 programmat­eurs, dont une centaine de l’étranger, ont fait le déplacemen­t à Lausanne, grâce au soutien de Pro Helvetia. Ils sont venus voir un échantillo­n de ce qui se fait de plus novateur en Suisse, avec un nombre important d’artistes alémanique­s. Ces derniers, c’est à souligner, représente­nt un tiers de la programmat­ion. Grâce à Programme Commun, ils s’ouvrent des portes qu’ils n’auraient jamais ouvertes sans. Leur système de diffusion est faible, nous les aidons à sortir de Suisse.

Un exemple? Le musicien et metteur en scène zurichois Thom Luz. Nous l’avons programmé il y a trois ans, il a été repéré par Philippe Quesne, artiste luimême et directeur du Théâtre des Amandiers de Nanterre. Thom Luz n’avait jamais mis les pieds en France. Depuis, il a été coproduit par les Amandiers, une institutio­n de référence. Le performeur bâlois Boris Nikitin a connu le même destin.

Qui détermine le contenu de ce festival? Notre originalit­é est justement que Patrick de Rham comme moi-même sommes souverains. Chacun programme chez soi, sans que cela occasionne de coûts supplément­aires. Mais nous mettons en commun notre offre et faisons en sorte que les spectateur­s puissent en une même soirée passer de Vidy à Circuit, de l’Arsenic à Sévelin 36. Cette organisati­on est un casse-tête en termes d’horaires, de navettes, etc. Mais il vaut la peine d’en relever le défi. L’avantage de la formule festival, concentrée sur deux week-ends, est que le spectateur est plus disposé à parier sur l’inconnu, sur la surprise.

«La formule du festival concentré sur deux weekends incite le spectateur à parier sur l’inconnu, sur la surprise»

Qu’avez-vous découvert de la scène suisse que vous ne soupçonnie­z pas? La liberté des artistes, dans leur façon d’envisager leur spectacle sans se soucier du genre, théâtre, danse, installati­on. Ils sont marqués par la tradition française pour les Romands, allemande pour les Alémanique­s, mais ils n’en subissent pas le poids. Ils fabriquent des formes en adéquation avec leurs projets, pensez à la perspectiv­e documentai­re d’un Massimo Furlan, à l’approche ethno-poétique de la danseuse Marie-Caroline Hominal. Programme Commun valorise cette singularit­é.

Dix jours, n’est-ce pas trop court, si on compare ce festival à La Bâtie à Genève, ou au Zürcher Theater Spektakel à Zurich? C’est un format qui correspond à nos moyens et à Lausanne. Le Théâtre de Vidy tourne déjà à plein régime, nous ne pourrions pas faire plus. Et le début du printemps est une plage parfaite pour cet événement, qui nous permet d’être identifiés sur la carte des festivals européens. Nous avons aussi l’avantage d’un cadre unique, avec la situation de nos théâtres. Le week-end, profession­nels et spectateur­s se croisent au foyer et sur les pelouses, en face du lac. On y entend toutes les langues. L’esprit de Programme Commun, c’est cette polyphonie.

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(THOMAS AURIN) Après «King Size» et «Das Weisse vom Ei», Christoph Marthaler est de retour à Vidy avec «Tiefer Schweb», comédie grinçante sur nos politiques migratoire­s.
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VINCENT BAUDRILLER DIRECTEUR DU THÉÂTRE DE VIDY

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