GASTRONOMIE AU FÉMININ
Unissant 5000 cheffes, vigneronnes et chercheuses, le Forum Parabere milite pour la parité dans la restauration. Zoom sur le rôle, essentiel, des femmes dans ce milieu encore macho.
Le Forum Parabere milite pour la parité en cuisine. Thème de la quatrième édition, à Malmö, «Nourrir les villes», avec la déferlante #MeToo en toile de fond…
Parabere, c’est un formidable réseau de 5000 cheffes, vigneronnes, chercheuses et anthropologues, tissé sur tous les continents. Une force de frappe féminine au sein de milieux éminemment masculins créée en 2015 sous l’impulsion de la journaliste et activiste Maria Canabal pour qui «les femmes sont l’avenir de la gastronomie».
Début mars, elles étaient plus de 400 participantes issues de 31 pays à se retrouver à Malmö pour la quatrième édition de ce forum qui vise à mettre en lumière leur rôle dans la restauration. Son thème? «Nourrir les villes.» Le choix de la troisième ville de Suède n’est en cela pas anodin. Avec sa croissance spectaculaire, sa population multiculturelle et ses objectifs ambitieux en termes d’environnement, de durabilité et d’intégration, Malmö a été déclarée capitale verte par la Commission européenne.
EN FINIR AVEC LE GASPILLAGE
Consultante auprès de la municipalité de Milan, Franca Roiatti a ainsi exposé les stratégies de la capitale lombarde visant à promouvoir les pratiques durables, l’agriculture biologique, réduire les déchets, créer des potagers urbains; 90% des repas servis dans les cantines scolaires et collectivités publiques de Milan sont aujourd’hui biologiques, de saison, locaux, sans que cela occasionne de coûts supplémentaires.
Plusieurs initiatives régionales prometteuses ont été présentées, tels les projets Gro’Up Malmö ou Yalla Trappan, visant à intégrer des migrantes de toutes origines par le biais de la cuisine. D’autres conférences portaient sur l’aquaponie, les fermes urbaines ou encore les toits de Sydney reconvertis en potagers.
L’Australienne Ronni Kahn s’est attaquée au gaspillage alimentaire «qui représente la troisième source d’émission de gaz carbonique et la deuxième cause du réchauffement climatique». Comment changer? En mettant l’accent sur l’éducation, la cheffe lance également des cours de cuisine et d’éducation nutritionnelle destinés aux enfants et aux ados. Les meilleurs chefs australiens se sont aussi associés au projet, mettant sur pied des soirées à but caritatif: Oz Harvest, réseau de magasins coopératifs au fonctionnement original, a redistribué 85 millions de repas depuis sa création en 2004.
Autre croisade anti-gaspi, celle de la Suissesse Esther Kern: Leaf to Root (de la racine aux feuilles) est né en 2014 sous forme de blog, afin de valoriser les épluchures végétales. Le travail remarquable de la journaliste alémanique lui a valu le titre de meilleur livre de cuisine en allemand en 2016. Et une sélection pour la finale mondiale des meilleurs blogs en mai prochain
LE MEILLEUR PATRON DU MONDE
Mais pour Parabere, qui s’affirme depuis sa création en 2015 comme la référence en matière de promotion de l’égalité, de la diversité et de l’inclusion, impossible de passer à côté de la déferlante #MeToo.
«Je me suis souvent sentie très seule; durant toutes ces années, j’étais tellement concentrée sur la nécessité d’être acceptée par mes pairs que je ne me suis pas assez souciée du sort des femmes», raconte Anne-Sophie Pic. L’unique cheffe triplement étoilée de France est revenue sur son parcours, sur la difficulté de s’affirmer au sein de l’établissement familial et en dehors, dans l’univers resté farouchement mâle et volontiers macho de la cuisine… Elle souhaite désormais aider de jeunes cuisinières à s’affirmer à leur tour dans le domaine de la gastronomie.
Considéré à juste titre comme l’une des personnalités les plus influentes du monde, René Redzepi, le créateur du Noma à Copenhague – et tout récemment du Noma 2.0 – est revenu sur son parcours et s’est exprimé sur les enjeux de la parité. «Dans un monde façonné pour les hommes, le fait d’avoir trois filles a contribué à ma prise de conscience: un nouveau système reste à inventer, plus respectueux de chaque individu, plus soucieux du bonheur des travailleurs. C’est un changement fondamental, qui passe par l’éducation, et j’ai envie d’être partie prenante de ce changement.»
Le tout nouveau Noma, qui vient de voir le jour dans le quartier de Christiania, la «ville libre» de Copenhague, n’est ouvert que quatre jours par semaine – avec de très longues listes d’attente. Un choix que René Redzepi justifie par son souci de la qualité de vie de ses 100 collaborateurs, parmi lesquels de très nombreuses femmes. «Une équipe très féminine a un meilleur esprit et une meilleure dynamique», estime le chef, pour qui «un restaurant doit aussi être un lieu où il fait bon travailler. Mon ambition ne se limite pas à être le meilleur restaurant du monde, mais aussi à devenir le meilleur employeur du monde…»
HARCÈLEMENTS SYSTÉMATIQUES
Mais parlons aussi des pires. Aux Etats-Unis, les deux sommités culinaires Mario Batali et John Besh se trouvent en pleine tourmente, à la suite d’accusations de harcèlement émanant de leur personnel. La restauration serait même la branche la plus affectée par ces comportements déplacés avec 90% des travailleuses concernées, si l’on en croit le syndicat américain ROC (Restaurant Opportunities Centers). Toujours aux Etats-Unis, côté salaires, les cheffes gagnent 28% de moins que leurs collègues masculins, selon le site dévolu à la transparence Glassdoor. Ailleurs dans le monde, si la parité est à peu près atteinte parmi les étudiants des écoles hôtelières, la proportion tombe à quelques pour cent dès qu’il s’agit de distinctions ou d’étoiles…
Reste à savoir si la route vers l’égalité progresse. Maria Canabal répond en citant Anita Roddick, fondatrice du Body Shop: «Si vous pensez que vous êtes trop petit pour avoir un impact, essayez d’aller au lit avec un moustique dans votre chambre à coucher…»