Francesco Mondada, le scientifique qui apprivoise les robots
«Les gens subissent la technologie, c’est dangereux. On connaît tous l’anatomie d’une fleur, mais pas celle d’un ordinateur, qui fait pourtant partie intégrante de notre environnement» Ce professeur à l’EPFL est l’un des pionniers de la robotique éducativ
Physique élancé et moustache soignée, Francesco Mondada est d'humeur joviale dans son bureau de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). C'est que le professeur en robotique ne correspond pas franchement à l'ingénieur introverti dépeint dans l'imaginaire collectif. Le scientifique est un concentré de ce brassage culturel propre à la Suisse. Originaire de Locarno, de mère jurassienne, il a débarqué à Lausanne en 1986 pour étudier la microtechnique et a épousé une Suisse alémanique. «Je suis Tessinois pour les vacances», sourit-il.
Professeur apprécié
Du Tessin, il se remémore les heures passées dans l'atelier paternel à bidouiller des moteurs. Un côté bricoleur qu'il a d'ailleurs conservé. Collaborateur dans le Laboratoire de systèmes robotiques, Frank Bonnet rapporte: «Partout où il va, il transporte tout un attirail pour se sortir de toutes les situations. Un mètre, un couteau suisse bourré d'options, des câbles d'adaptation, un pointeur laser et des stylos de la couleur qu'il vous faut.»
Depuis son arrivée sur le campus de l'EPFL, Francesco Mondada n'a quitté l'alma mater qu'à deux courtes reprises: pour une expérience au Caltech (ndlr: California Institute of Technology), «parce que les Etats-Unis étaient un passage obligé», et lorsqu'il a fondé une entreprise de conception de robots avec des collègues. «C'est l'un des seuls professeurs à avoir fait carrière uniquement au sein de l'institution», explique Frank Bonnet.
Fidèle à l'établissement, il prend particulièrement à coeur sa mission première: l'enseignement. «Je suis l'un de ceux qui donnent le plus de cours. J'ai raflé tous les prix du meilleur prof», confie-t-il non sans fierté. Et d'anciens étudiants de confirmer: «Il transmet ses connaissances avec une telle passion qu'on a envie de l'écouter.»
Tel l'éleveur fier de ses bêtes, Francesco Mondada peut parler sans fin de ses bébés: les robots éducatifs Thymio, créés en 2010. En apparence, ces petits boîtiers sur roues de forme carrée n'ont rien d'impressionnant. Leur potentiel se dévoile une fois qu'ils sont allumés. Selon la couleur de la lumière choisie, le robot se déplace en avant, en arrière, tourne sur lui-même ou suit la main placée devant l'un de ses capteurs. Car c'est bien là la caractéristique de ce robot, pouvoir être découvert sans mode d'emploi.
35 000 robots vendus
Derrière ce succès commercial (35 000 exemplaires écoulés), le professeur et son équipe ont un but louable: sensibiliser les enfants à l'informatique. «En explorant ses fonctionnalités, ils mobilisent des compétences transversales comme la communication et l'esprit d'analyse. Cela permet aussi de créer des liens avec leur environnement immédiat, comme les capteurs de porte automatique ou le principe de gravité utilisé sur les smartphones pour avoir l'écran à l'endroit», explique-t-il. Ses collaborateurs et lui ont déjà formé 700 enseignants à utiliser Thymio.
«Les gens aujourd'hui subissent la technologie, c'est dangereux. On connaît tous l'anatomie d'une fleur, mais pas celle d'un ordinateur, qui fait pourtant partie intégrante de notre environnement.» La place accordée à l'informatique en milieu scolaire évolue toutefois gentiment grâce à une prise de conscience des politiciens. Il assure: «Programmer est à la portée de tous, mais on aime en faire tout un plat.»
Bien que féru de robotique éducative, Francesco Mondada assure n'avoir jamais poussé ses trois enfants vers son domaine. «La maison n'a jamais débordé de robots.» L'aîné s'est toutefois servi de Thymio pour son travail de maturité.
«C'est probablement ce qui fait son succès: on l'utilise de la maternelle au gymnase. Le robot est de couleur blanche, une couleur neutre qui permet d'intéresser autant les garçons que les filles, qui sont malheureusement moins enclines à se diriger vers des domaines scientifiques.» Il tente une explication quant à leur manque d'engouement: «Des stéréotypes sont véhiculés parfois même par les enseignantes, qui sont majoritaires dans ce milieu et pas toujours intéressées par la technologie.»
Une vie d’échanges
En bon Tessinois catholique, il pratique sa foi «sans être rigide sur les dogmes». Paradoxal pour un scientifique? «Non, il y a de plus en plus de débats sur l'éthique dans le domaine scientifique, et les principes chrétiens y trouvent leur place.» Et puis confronter des visions a toujours du bon. Et ce peu importent les domaines. Car le scientifique ne jure que par les échanges, les interactions.
C'est d'ailleurs ce qui le motive dans son deuxième pan de recherche au sein du Laboratoire de systèmes robotiques: les interactions entre animaux et robots. Les trouvailles de son équipe ont récemment fait l'objet d'une couverture médiatique internationale. En ce moment, un groupe de chercheurs issus de la biologie, de la robotique et du design étudie les poissons et les fourmis. «Nous sommes les seuls au monde à faire interagir des groupes de robots et des groupes de poissons», relève-t-il.
«Ce qui le fascine, c'est la façon dont le robot est perçu par un animal ou par un enfant. Ou comment des êtres vivants établissent un lien de confiance avec eux», raconte Frank Bonnet. Une vie à échanger, c'est ce qui pourrait le mieux résumer Francesco Mondada. De l'interdisciplinarité académique aux interactions robots et êtres vivants, rien ne semble lui échapper.
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