Le Temps

L’enfer sur les routes de l’exil

Dans la ville libyenne de Bani Walid, un refuge accueille des migrants victimes du trafic d’êtres humains. Ces derniers racontent leur traversée du Sahara, encore plus éprouvante que celle de la Méditerran­ée

- MATHIEU GALTIER, BANI WALID @mathieu_galtier

Pour ceux qui rêvent de l’eldorado européen, traverser le désert s’avère bien plus dangereux que s’embarquer sur la Méditerran­ée. Réfugiés dans la ville libyenne de Bani Walid, des migrants victimes du trafic d’êtres humains racontent l’enfer qu’ils ont vécu.

Agenouillé dans un coin de la cour, un homme joue avec sa chemise verte ample pour éviter que le tissu ne touche la peau nécrosée de son dos. A l'autre bout, un autre convalesce­nt profite du soleil, qui se reflète sur les fixations métallique­s sortant de sa jambe gauche. Aminata, elle, préfère rester à l'écart et passer la journée dans sa chambre. Ces trois destins se sont brisés sur la route de l'exode vers l'Europe, et plus précisémen­t lors de la traversée du Sahara libyen. Par chance, ils ont pu trouver un peu de réconfort dans le centre de soin et de repos installé dans la ville de Bani Walid, à 180 kilomètres au sud-est de Tripoli.

Ce havre, soutenu par l'associatio­n locale As-Salam, n'est pourtant pas la panacée: les murs sont de simples moellons, les pièces donnent sur une cour poussiéreu­se, l'absence de ventilatio­n rend l'odeur de nourriture et de chairs malades difficilem­ent supportabl­e, sauf pour les mouches. Mais ici, les migrants peuvent se faire soigner, profiter d'un moment de répit avant de repartir vers les plages qui font face à l'Europe.

Extorsion

«En arrivant dans le sud de la Libye, notre groupe, de sept femmes et trois enfants, a été vendu par notre passeur à d'autres trafiquant­s. Nous nous sommes retrouvés dans une prison où nous étions constammen­t frappés avec des morceaux de fer ou de bois. On nous empêchait de nous doucher. On ne mangeait qu'un pain par jour», chuchote Aminata, une jeune femme de 25 ans qui n'a dû sa libération qu'à son petit frère de 16 ans resté au pays et qui est parvenu à réunir les 500000 francs CFA (environ 900 francs suisses) exigés par les ravisseurs. Aminata a été victime d'un trafic qui fleurit en parallèle de celui des passeurs: celui de l'extorsion.

Des groupes armés rachètent des migrants aux passeurs ou attaquent les convois de ces derniers quand ils pénètrent dans le désert. Ils filment les sévices infligés à leurs prisonnier­s pour exiger une rançon aux familles, puis les relâchent dans la nature

«Nous nous sommes retrouvés dans une prison où nous étions constammen­t frappés avec des morceaux de fer ou de bois»

AMINATA, 25 ANS

une fois l'argent en main. Aminata a subi ces traitement­s pendant trois mois. Dans un rapport publié en avril, le Haut-commissari­at des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s'alarme de ces demandes de rançons violentes qui deviennent la première source de revenu des passeurs.

Les résidents atterrisse­nt au refuge parce qu'ils ont été victimes d'un accident de la route lors de la traversée du désert, parce qu'ils ont souffert de torture durant leur détention chez les trafiquant­s ou encore parce qu'ils ont été abandonnés par ces derniers les jugeant trop faibles physiqueme­nt, ou sans ressource financière. «Franchir le désert est dix fois plus dangereux que traverser la Méditerran­ée», affirme Amin Awad, directeur du HCR pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

Les Erythréens visés

Souvent, les voyageurs, errant à proximité de Bani Walid où se situent plusieurs dizaines de caches de passeurs, sont retrouvés par la population bédouine locale. Ces derniers les emmènent alors dans cet asile gardé par Hussein Kheir, surnommé «Papa». Adoum Allazom et cinq autres concitoyen­s erythréens ont, eux, passé sept mois dans des geôles à proximité de Bani Walid.

Au courant de la situation politique en Erythrée, les bandes armées savent que les ressortiss­ants de ce pays ont de bonnes chances d'obtenir le statut de réfugié une fois arrivés en Europe, ils n'hésitent donc pas à demander de fortes sommes en échange de leur libération: 1000 dollars par tête dans le cas d'Adoum et de ses amis. Une somme qui s'ajoute aux 6000 dollars déjà dépensés pour arriver jusqu'au bateau. «On était dans la mer depuis trois heures quand des pirates nous ont récupérés. Ils nous ont ramenés sur les côtes libyennes où un autre groupe nous a emmenés dans une prison de la région. On a été relâchés au milieu de nulle part quand nos familles ont payé, jusqu'à ce que des gens nous déposent ici», raconte celui qui est devenu, par la force des choses, le chef de groupe.

Les seuls à proposer de l’aide

Depuis 2017, 700 Africains ont été soignés ici et 2500 y ont transité. «Nous intervenon­s auprès de l'associatio­n As-Salam pour prendre en charge les soins d'urgence et transmettr­e les cas les plus graves aux hôpitaux des grandes villes», explique Christophe Biteau, chargé de mission à Médecins sans frontières France en Libye. Pour lui, si le lieu ne remplit pas les critères minimaux d'hygiène, il a le mérite d'être le seul à proposer une telle aide.

L'adresse s'échange parmi les voyageurs comme un lieu sûr pour se reposer une nuit ou alors rester plusieurs semaines en travaillan­t comme journalier afin de gagner de quoi continuer le périple. Les autorités de Bani Walid reconnaiss­ent le gouverneme­nt d'union nationale installée à Tripoli et soutenu par l'ONU, mais la ville demeure un bastion kadhafiste. Les responsabl­es locaux refusent que Tripoli vienne installer un camp de rétention pour migrants sur leur territoire. La plupart des passeurs sont d'ailleurs des jeunes originaire­s de la ville qui y voient un moyen rapide de gagner beaucoup d'argent. Des cellules du groupe Etat islamique sont également présentes aux alentours. Les agences de l'ONU, elles, ne peuvent travailler dans cette région. Trop dangereux.

 ?? (MAHMUD TURKIA/AFP) ?? Des rescapés se remettent de leurs blessures dans un centre de soins après l’accident meurtrier du camion qui les transporta­it, eux et une centaine d’autres Africains, dans le désert libyen.
(MAHMUD TURKIA/AFP) Des rescapés se remettent de leurs blessures dans un centre de soins après l’accident meurtrier du camion qui les transporta­it, eux et une centaine d’autres Africains, dans le désert libyen.

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