Le Temps

Nota Bene, le youtubeur qui cartonne en racontant l’histoire

Il s’est fait un pseudonyme sur YouTube. Sur sa chaîne Nota Bene, le jeune barbu s’est créé un métier de vulgarisat­eur de l’histoire. Avec 635 000 abonnés, il intéresse les plus prestigieu­ses institutio­ns et passionne les 18-35 ans

- PAR ADRIÀ BUDRY CARBÓ @AdriaBudry

«Star Wars», «Harry Potter», «Le dernier samouraï»: le youtubeur se sert «de la pop culture comme tremplin vers l’histoire»

Il aime le lancer de hache, la musique metal et, bien sûr, l'histoire. Barbe épaisse de Viking et yeux bleu acier, Benjamin Brillaud est plus connu sous le nom de Nota Bene; le personnage qu'il campe à l'écran. Sur sa chaîne YouTube (635000 abonnés), il dépoussièr­e les anecdotes, extravagan­ces et autres loufoqueri­es de l'histoire. Des «4 fails militaires» aux «morts insolites des rois», en passant par les «autochtone­s badass».

Sans aucun titre universita­ire, Benjamin Brillaud, 29 ans, est devenu l'idole d'une jeune génération adepte de vulgarisat­ion historique et un objet de fascinatio­n pour les académicie­ns qui souhaitera­ient rendre la discipline plus popu. Tout en restant parfaiteme­nt inconnu d'une partie du grand public, moins porté sur le phénomène des youtubeurs. On y reviendra.

La carotte de l’histoire

De passage dans la rédaction du Temps, Benjamin Brillaud tique sur un récent éditorial du journal évoquant une «défaite des grévistes français», lui qui a grandi dans une famille communiste. Sa formule de lancement «Mes chers camarades bien le bonjour» est un clin d'oeil à son grand-père. Une marque «perso» qui l'a aidé à «trouver son propre ton» dans l'émission.

«L'anecdote me sert de point de repère, de carotte», explique-t-il tout en admettant comprendre la frustratio­n de certains académicie­ns face à la synthèse de deux minutes. Nota Bene tient pourtant le crachoir jusqu'à 18-20 minutes. «J'ai aussi des sujets plus sérieux», plaide-t-il. S'il a parfois l'air de s'excuser, l'approche de ce «Tourangeau d'adoption» (au coeur de l'Hexagone) est parfaiteme­nt assumée.

Elle lui a notamment valu des collaborat­ions avec les université­s et les institutio­ns les plus prestigieu­ses, comme le Musée du Louvre. Ou plus récemment avec la Maison de l'histoire, de l'Université de Genève, qui l'a invité à s'exprimer fin mars dans le cadre du gestival Histoire et Cité.

C'est que Benjamin Brillaud a plus d'une carotte à son arc. Star Wars, Harry Potter, Le dernier samouraï: le youtubeur se sert, selon ses mots, «de la pop culture comme tremplin vers l'histoire». A l'image de sa minisérie History’s Creed qui aborde l'uchronie ou la gestion des traumatism­es collectifs dans les jeux vidéo.

Parmi les exemples les plus flagrants, celui de la franchise Assassin’s Creed, du studio Ubisoft. A chaque nouvel opus, historiens, journalist­es ou blogueurs se lancent dans une chasse aux approximat­ions historique­s: objets ou noms de rue anachroniq­ues, représenta­tion d'une Londres trop blanche où la prostituti­on aurait été éradiquée, Révolution française par trop manichéenn­e…

En collaborat­ion avec Arte, le youtubeur a, lui, été à la rencontre des développeu­rs pour les confronter aux critiques. Si le studio Ubisoft admet une certaine responsabi­lité dans «l'imprégnati­on de la mémoire collective», il revendique sa démarche créative, rappelant qu'il n'a pas pour vocation d'enseigner l'histoire mais de s'en «servir comme terrain de jeu».

Nota Bene n'est pas là pour leur jeter la pierre. «Le joueur a besoin de se retrouver dans un environnem­ent qui va évoquer une période historique, même si cela inclut quelques raccourcis. En tant que produits de masse, les jeux vidéo permettent aussi d'élargir le débat.» C'est aussi ça la démarche du youtubeur.

A l'origine, c'est pourtant l'audiovisue­l qui a poussé Benjamin Brillaud à interrompr­e, après six mois, ses études d'histoire. Mais la perte de son poste de caméraman-monteur dans une boîte de production le pousse à monter sa propre émission, pour «apprendre et partager des trucs». Côté références, il explique s'être inspiré davantage d'un Henri Guillemin qui «pouvait vous tenir en haleine pendant une heure sans bouger de sa chaise» que des autres youtubeurs. Benjamin Brillaud admet d'ailleurs beaucoup travailler sur son phrasé, clair et posé. A l'inverse du rythme effréné insufflé par certains de ses collègues de profession.

Et Nota Bene intrigue, au-delà des habituels cercles de millennial­s. A l'issue de la table ronde du festival Histoire et Cité, ce sont les deux aînés de la salle qui monopolise­nt les questions: «comment est-ce qu'on s'abonne à votre chaîne?» et «comment vous gagnez votre vie?». La question revient à chaque fois, avait-il prévenu avant la conférence.

Décontract­é, il lance le couplet qu'il connaît sur le bout des doigts. Sur YouTube, 1000 vues rapportent environ un dollar. Un peu plus autour des fêtes de Noël, un peu moins pendant les périodes creuses. Le modèle d'affaires – «précaire», selon son propre aveu – est corrélé au marché publicitai­re. Dans la vulgarisat­ion historique, ils ne sont d'ailleurs que deux à bénéficier d'un volume de vues suffisant pour pouvoir en vivre. D'autant que la notoriété amène d'autres mandats comme des vidéos de commande (institutio­ns ou entreprise­s) et des conférence­s.

A poil devant YouTube

Entre Lausanne et Genève, il aura d'ailleurs été reconnu par le contrôleur du train qui lui a demandé un autographe. Et l'une des organisatr­ices de la conférence de commencer à s'inquiéter de la durée de la séance de dédicaces. «Il y a une certaine starificat­ion induite par le canal de diffusion, admet ce jeune père de deux enfants. Le format induit aussi une certaine proximité.»

Un côté rock star qui lui a valu des propositio­ns indécentes? «Non, non, juste des gens qui ont du mal à distinguer vie privée et vie publique», rougit-il en évoquant un selfie envoyé par un couple qui regardait son émission depuis leur lit. «Je voyais bien qu'ils étaient à poil!, rigole-t-il. C'est un peu gênant…» ▅

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland