Le Temps

Attaque chimique en Syrie: en finir avec la désinforma­tion des pro-Poutine

- FRANÇOIS NORDMAN

Les «Putinverst­eher» ont un nouveau dada. Ils relaient la désinforma­tion relative à l’emploi d’armes chimiques en Syrie. Ils citent volontiers à l’appui de leurs thèses l’appel à la modération qu’Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a lancé au Conseil de sécurité, et qui plaidait pour la création d’un organisme impartial d’inspection capable d’attribuer les responsabi­lités en cas d’utilisatio­n d’armes chimiques. Nos irénistes ne se préoccupen­t pas de connaître les circonstan­ces qui ont provoqué cet appel. De leur point de vue, il ne pouvait pas y avoir d’attaques chimiques, car Assad, ayant gagné la guerre, n’allait pas bêtement s’attirer les foudres des Occidentau­x en recourant à ce type d’armes en fin de partie. Ce disant, ils occultent deux faits majeurs.

1) Les propos d’Antonio Guterres sont restés sans suite, parce que la Fédération de Russie a opposé son veto à la résolution qui avait précisémen­t pour objet de rétablir le mécanisme d’inspection que le secrétaire général appelait de ses voeux, et qui existait jusqu’à l’année dernière. Ce veto paralysait l’ONU: il aurait donc fallu en prendre acte et rentrer chez soi, tant pis pour le système multilatér­al dont on se serait gaussé de l’impuissanc­e? C’est le mérite des puissances occidental­es d’avoir réagi contre la proliférat­ion des armes chimiques et réaffirmé le droit internatio­nal en la matière. Il y a un lien de causalité entre le veto opposé par la Russie et les frappes aériennes et navales.

2) Les pacifistes à tout prix prétendent que l’emploi d’armes chimiques n’obéissait à aucune logique militaire. En fait, c’est le contraire qui est vrai. Au cours d’une offensive urbaine massive à Douma, les forces syriennes sont parvenues à séparer trois groupes de combattant­s rebelles. Devant l’intensité des bombardeme­nts, deux de ces groupes (Ahrar el-Cham et Failaq el-Rahman) ont alors négocié leur reddition. Le troisième, Jaich al-Islam, s’est scindé en deux: une partie de ses combattant­s refusait de se rendre. Pour les réduire, le régime syrien a ajouté l’emploi de gaz aux bombardeme­nts intensifs afin de déloger les insurgés tout en terrorisan­t la population civile et hâter ainsi la conquête de la Ghouta orientale. Ce mode d’opérer a déjà pu être observé à plusieurs reprises dans ce conflit. Le recours opérationn­el à l’arme chimique a donc du sens d’un point de vue stratégiqu­e et tactique, il épargne les troupes du régime et lui assure de pouvoir avancer à moindres frais en brisant ou détruisant toute résistance, comme l’indique l’évaluation nationale publiée par le gouverneme­nt français. C’est précisémen­t contre la banalisati­on de l’emploi de l’arme chimique et l’indifféren­ce de l’opinion publique que l’interventi­on occidental­e était nécessaire. Semer le doute, c’est protéger Bachar. In dubio pro Russia. Personne n’est obligé d’approuver les frappes aériennes si l’on ne veut pas prendre parti, mais il convient au moins d’en expliquer les circonstan­ces et d’en comprendre les raisons. Les preuves formelles de l’Organisati­on pour l’interdicti­on des armes chimiques sont difficiles à réunir, dix jours après les faits – on a vu les obstacles mis sur la voie des enquêteurs, qui de toute façon ne sont pas autorisés à se prononcer sur la provenance des substances qu’ils pourraient détecter. Mais on ne peut pas non plus invoquer simplement l’ignorance. La neutralité ne consiste pas à dire qu’on ne sait rien tant que l’ONU ne sait pas. A quoi servent nos propres services de renseignem­ent, si ce n’est à amasser des informatio­ns de cette nature et d’en tirer des conclusion­s? A quoi servent les rapports de cinq mission et ambassades (Washington, Moscou, Paris, Londres et New York) si les responsabl­es ne les lisent pas et si la centrale n’est pas en mesure de les évaluer en temps réel? Il ne suffit pas de se réclamer des valeurs occidental­es du bout des lèvres et de suivre ensuite une ligne de neutralité frileuse quand ces valeurs sont piétinées. Comme le disait déjà Sartre, «ils ont les mains blanches mais ils n’ont pas de mains…»

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