Face à Emmanuel Macron, des syndicats en ordre dispersé
En pleine mobilisation contre la réforme de la SNCF, et face à un gouvernement déterminé à passer en force, la Fête du travail confirme surtout la désunion syndicale
Le 19 avril, la CGT a organisé une journée de «convergence des luttes», notamment entre SNCF et étudiants.
Les syndicats français étaient jusque-là réputés pour leur faible représentativité: 20% seulement d’adhérents dans le secteur public, contre la moitié dans le secteur marchand. Une présence très minoritaire, compensée par leur détermination, leur proximité avec le monde politique (à l’image de la CGT, longtemps inféodée au Parti communiste), et leur capacité de blocage et de mobilisation unitaire, en particulier autour du 1er Mai.
Or, un an après l’élection d’Emmanuel Macron, cette dernère équation appartient désormais au passé. Ce sont des défilés séparés, et des militants assommés par la perte de vitesse des grèves contre la réforme de la SNCF, qui arpenteront Paris et les principales villes françaises aujourd’hui. A une semaine de la rencontre prévue le 7 mai entre les syndicats du rail et le premier ministre Edouard Philippe, la Fête du travail est donc célébrée en ordre dispersé: d’un côté la CFDT, dont le secrétaire général Laurent Berger s’inquiète publiquement «d’un syndicalisme mortel, comme le sont les partis politiques», et de l’autre la CGT, dont le patron Philippe Martinez mise toujours sur «une convergence des luttes». Tandis que La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon prépare, elle, une marche nationale samedi 5 mai pour «faire la fête à Macron»…
Difficile de faire plier Macron
Cette détérioration visible de la puissance syndicale en 2018 est accentuée par la nouvelle méthode de comptage des manifestants, adoptée par les médias français depuis le début 2018. Longtemps, les décomptes de la police s’opposaient à ceux des organisateurs. Or de nouveaux outils technologiques permettent d’effacer cette différence, ce qui a permis d’évaluer à 47000 le nombre de protestataires réunis à Paris le 22 mars, pour la première grande manifestation de l’année, soit un résultat modeste.
Difficile, dès lors, de faire changer d’avis Emmanuel Macron, enclin à réformer le pays de façon très verticale et persuadé que les corps intermédiaires (partenaires sociaux, médias, secteur associatif…) sont avant tout arc-boutés sur leurs «privilèges». Le chef de l’Etat a ainsi gagné la première manche,
Ce 1er Mai 2018, à défaut d’offrir une mobilisation massive et unitaire, est celui du statu quo
en réformant le Code du travail en octobre 2017 avec le soutien tacite des réformistes de la CFDT (devenu le premier syndicat dans le secteur privé) et des corporatistes de Force ouvrière (dont le bastion est la fonction publique). Et la seconde manche, autour de la réforme de la SNCF et du statut des cheminots, apparaît également bien engagée. La «grève perlée» entamée le 3 avril n’a pas paralysé le trafic ferroviaire. De plus en plus de cheminots, en outre, s’inquiètent pour leurs jours de grève non payés malgré la «cagnotte» ouverte pour les soutenir. Laquelle affichait, lundi, 945000 euros.
Les syndicats français ne sont pas morts pour autant. Ce 1er Mai 2018, à défaut d’offrir une mobilisation massive et unitaire, est celui du statu quo. La CGT et ses alliés ont notamment obtenu que le dossier de la SNCF remonte au sommet de l’Etat, et ne reste pas cantonné au niveau des «concertations» avec la ministre controversée des Transports Elisabeth Borne, elle-même ex-cadre de l’entreprise. Le gouvernement, initialement décidé à passer en force, veut par ailleurs éviter un affrontement sur les deux autres sujets sociaux à venir: la réforme de l’assurance chômage (présenté le 2 mars, le projet de loi sera discuté d’ici à l’été au parlement) et la réforme des retraites agendée pour 2019.
L’Etat a besoin des syndicats
Reste une réalité: chacun joue sa carte face au pouvoir. La CGT – dont le prochain congrès aura lieu en mars 2019 – pense que sa ligne dure lui vaudra la reconnaissance des salariés dans les urnes. La CFDT, en colère contre la méthode expéditive de l’Elysée, estime néanmoins que le président aura prochainement besoin d’elle. Force ouvrière, qui vient d’achever son congrès et d’élire un nouveau secrétaire général, Pascal Pavageau, a affiché ses divisions vis-àvis d’Emmanuel Macron, mais joue pour l’heure l’attentisme: «Les syndicats gardent une carte en main, expliquait lundi dans Libération l’expert en relations sociales Raymond Soubie. Si un conflit profond éclate demain et que l’Etat n’a en face de lui que des interlocuteurs sociaux affaiblis, sans prise sur les événements, ce sera pour l’exécutif la situation la plus dangereuse.»
L’autre atout de ces syndicats français mutilés est la nécessité, pour le pouvoir, de démontrer l’efficacité des réformes entreprises durant la première année du quinquennat. Ce qui suppose, une fois les lois votées, de pouvoir compter sur le soutien des fonctionnaires pour les mettre en oeuvre, et sur la coopération des partenaires sociaux pour parvenir à des accords dans les entreprises. L’échec de la convergence des luttes dans la rue pourrait bien, au final, cinquante ans après les accords de Grenelle de mai 1968, profiter au renouveau du paritarisme français.
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