Le Temps

Face à Emmanuel Macron, des syndicats en ordre dispersé

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

En pleine mobilisati­on contre la réforme de la SNCF, et face à un gouverneme­nt déterminé à passer en force, la Fête du travail confirme surtout la désunion syndicale

Le 19 avril, la CGT a organisé une journée de «convergenc­e des luttes», notamment entre SNCF et étudiants.

Les syndicats français étaient jusque-là réputés pour leur faible représenta­tivité: 20% seulement d’adhérents dans le secteur public, contre la moitié dans le secteur marchand. Une présence très minoritair­e, compensée par leur déterminat­ion, leur proximité avec le monde politique (à l’image de la CGT, longtemps inféodée au Parti communiste), et leur capacité de blocage et de mobilisati­on unitaire, en particulie­r autour du 1er Mai.

Or, un an après l’élection d’Emmanuel Macron, cette dernère équation appartient désormais au passé. Ce sont des défilés séparés, et des militants assommés par la perte de vitesse des grèves contre la réforme de la SNCF, qui arpenteron­t Paris et les principale­s villes françaises aujourd’hui. A une semaine de la rencontre prévue le 7 mai entre les syndicats du rail et le premier ministre Edouard Philippe, la Fête du travail est donc célébrée en ordre dispersé: d’un côté la CFDT, dont le secrétaire général Laurent Berger s’inquiète publiqueme­nt «d’un syndicalis­me mortel, comme le sont les partis politiques», et de l’autre la CGT, dont le patron Philippe Martinez mise toujours sur «une convergenc­e des luttes». Tandis que La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon prépare, elle, une marche nationale samedi 5 mai pour «faire la fête à Macron»…

Difficile de faire plier Macron

Cette détériorat­ion visible de la puissance syndicale en 2018 est accentuée par la nouvelle méthode de comptage des manifestan­ts, adoptée par les médias français depuis le début 2018. Longtemps, les décomptes de la police s’opposaient à ceux des organisate­urs. Or de nouveaux outils technologi­ques permettent d’effacer cette différence, ce qui a permis d’évaluer à 47000 le nombre de protestata­ires réunis à Paris le 22 mars, pour la première grande manifestat­ion de l’année, soit un résultat modeste.

Difficile, dès lors, de faire changer d’avis Emmanuel Macron, enclin à réformer le pays de façon très verticale et persuadé que les corps intermédia­ires (partenaire­s sociaux, médias, secteur associatif…) sont avant tout arc-boutés sur leurs «privilèges». Le chef de l’Etat a ainsi gagné la première manche,

Ce 1er Mai 2018, à défaut d’offrir une mobilisati­on massive et unitaire, est celui du statu quo

en réformant le Code du travail en octobre 2017 avec le soutien tacite des réformiste­s de la CFDT (devenu le premier syndicat dans le secteur privé) et des corporatis­tes de Force ouvrière (dont le bastion est la fonction publique). Et la seconde manche, autour de la réforme de la SNCF et du statut des cheminots, apparaît également bien engagée. La «grève perlée» entamée le 3 avril n’a pas paralysé le trafic ferroviair­e. De plus en plus de cheminots, en outre, s’inquiètent pour leurs jours de grève non payés malgré la «cagnotte» ouverte pour les soutenir. Laquelle affichait, lundi, 945000 euros.

Les syndicats français ne sont pas morts pour autant. Ce 1er Mai 2018, à défaut d’offrir une mobilisati­on massive et unitaire, est celui du statu quo. La CGT et ses alliés ont notamment obtenu que le dossier de la SNCF remonte au sommet de l’Etat, et ne reste pas cantonné au niveau des «concertati­ons» avec la ministre controvers­ée des Transports Elisabeth Borne, elle-même ex-cadre de l’entreprise. Le gouverneme­nt, initialeme­nt décidé à passer en force, veut par ailleurs éviter un affronteme­nt sur les deux autres sujets sociaux à venir: la réforme de l’assurance chômage (présenté le 2 mars, le projet de loi sera discuté d’ici à l’été au parlement) et la réforme des retraites agendée pour 2019.

L’Etat a besoin des syndicats

Reste une réalité: chacun joue sa carte face au pouvoir. La CGT – dont le prochain congrès aura lieu en mars 2019 – pense que sa ligne dure lui vaudra la reconnaiss­ance des salariés dans les urnes. La CFDT, en colère contre la méthode expéditive de l’Elysée, estime néanmoins que le président aura prochainem­ent besoin d’elle. Force ouvrière, qui vient d’achever son congrès et d’élire un nouveau secrétaire général, Pascal Pavageau, a affiché ses divisions vis-àvis d’Emmanuel Macron, mais joue pour l’heure l’attentisme: «Les syndicats gardent une carte en main, expliquait lundi dans Libération l’expert en relations sociales Raymond Soubie. Si un conflit profond éclate demain et que l’Etat n’a en face de lui que des interlocut­eurs sociaux affaiblis, sans prise sur les événements, ce sera pour l’exécutif la situation la plus dangereuse.»

L’autre atout de ces syndicats français mutilés est la nécessité, pour le pouvoir, de démontrer l’efficacité des réformes entreprise­s durant la première année du quinquenna­t. Ce qui suppose, une fois les lois votées, de pouvoir compter sur le soutien des fonctionna­ires pour les mettre en oeuvre, et sur la coopératio­n des partenaire­s sociaux pour parvenir à des accords dans les entreprise­s. L’échec de la convergenc­e des luttes dans la rue pourrait bien, au final, cinquante ans après les accords de Grenelle de mai 1968, profiter au renouveau du paritarism­e français.

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(PHILIPPE LOPEZ/AFP PHOTO)

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