Le Temps

La possibilit­é d’un DPA à la façon suisse, bientôt dans notre droit?

- GRÉGOIRE MANGEAT AVOCAT, M.B.L.-HSG, MANGEAT LLC, GENÈVE FANNY MARGAIRAZ AVOCATE, MANGEAT LLC, GENÈVE

De plus en plus souvent, les procédures pénales ne se terminent pas par la lecture d’un jugement dans la salle d’audience d’un tribunal. Elles connaissen­t une fin négociée dans le huis clos du bureau d’un procureur. En Suisse également, ces façons de ne pas aller jusqu’au procès sont largement pratiquées. En 2017, par exemple, près de 29% des procédures de criminalit­é économique du canton de Zurich ont fait l’objet d’un traitement négocié en procédure dite simplifiée.

Les avantages de cette justice négociée ne doivent pas être sous-estimés. La possibilit­é d’influer sur son sort favorise une montée à la surface spontanée des comporteme­nts illicites commis au sein de l’entreprise. A l’inverse, une applicatio­n stricte du couple poursuite/sanction conduit à des réflexes de dissimulat­ion qui rendent plus difficile la tâche des autorités et retardent l’évolution des comporteme­nts.

En droit suisse, différents types de procédures négociées peuvent être envisagés. Dans le cas de la procédure dite simplifiée, la négociatio­n porte essentiell­ement sur le contenu de l’acte d’accusation. L’accord doit ensuite être approuvé par le juge. Cette ratificati­on ne dure que quelques minutes, le temps de vérifier notamment la qualité du consenteme­nt de l’accusé à se voir juger de cette manière. Cette procédure est cependant peu séduisante pour les entreprise­s puisque, même au terme d’une négociatio­n fructueuse, l’idée de devoir passer ne serait-ce que quelques minutes sur le banc de l’infamie de la salle d’audience pénale fonctionne comme un repoussoir assez efficace.

L’autre procédure susceptibl­e d’être négociée est celle de l’ordonnance pénale. Dans ce cas, la condamnati­on est prononcée directemen­t par un procureur, sans audience publique. C’est en particulie­r de cette manière que s’est soldée l’affaire Alstom Network Schweiz AG, en novembre 2011. Cette société a été condamnée par le Ministère public de la Confédérat­ion (MPC), mais les contours exacts de l’ordonnance pénale ont été intelligem­ment négociés, en particulie­r le montant de l’amende et le renforceme­nt de l’unité compliance du groupe industriel.

Troisième et dernière forme envisageab­le de deal, peut-être la plus spectacula­ire mais aussi la plus discutable, le classement 53 CP, ou dit plus clairement le classement au motif d’une réparation suffisante du dommage. A Genève, les entreprise­s HSBC et Addax ont pu profiter récemment de ce traitement exprès et quasi indolore.

Parce qu’ils rebutent (procédure dite simplifiée), parce qu’ils ne sont pas totalement adaptés (procédure de l’ordonnance pénale) ou parce qu’ils peuvent même conduire l’autorité à en faire un usage un peu dévoyé (classement 53 CP), ces instrument­s de justice pénale négociée n’atteignent qu’imparfaite­ment l’objectif d’assainisse­ment des pratiques au sein des entreprise­s. C’est pourquoi le MPC a proposé très récemment l’introducti­on d’une procédure de Deferred Prosecutio­n Agreement à la façon suisse (DPA CH), sous la forme d’un nouvel article 318bis du Code de procédure pénale. Cette procédure ne concernera­it que les entreprise­s, en lien avec les infraction­s prévues à l’article 102 du Code pénal, soit notamment le blanchimen­t d’argent et la grande majorité des actes de corruption d’agents publics ou privés.

Si ce mécanisme est adopté en Suisse, les entreprise­s pourront éviter la condamnati­on pénale, laquelle comporte souvent des dommages collatérau­x importants à l’étranger, tels que la perte d’une autorisati­on d’exercer. Ce DPA CH, qui reposerait sur un accord conclu entre le Ministère public et l’entreprise, poursuivra­it les trois objectifs suivants: l’élucidatio­n des faits; la réparation du tort causé; et l’éliminatio­n des défauts d’organisati­on de l’entreprise, afin d’éviter la commission de nouveaux actes illicites. Les conditions principale­s posées à la conclusion d’un tel accord seraient

En droit suisse, différents types de procédures négociées peuvent être envisagés. Le MPC propose d’introduire le DPA

les suivantes: la dénonciati­on spontanée, ou du moins l’acceptatio­n rapide de l’instructio­n pénale par l’entreprise; sa pleine collaborat­ion; et la dispositio­n de l’entreprise à l’améliorati­on de ses procédures de contrôle interne.

Le DPA CH comprendra­it les éléments suivants: la présentati­on des faits; le montant de l’amende; la désignatio­n des valeurs patrimonia­les confisquée­s; la reconnaiss­ance des prétention­s civiles; l’obligation d’éliminer durablemen­t les défauts d’organisati­on et d’adopter les mesures corrective­s suffisante­s (par ex. un programme renforcé de compliance); la durée du délai d’épreuve, de deux à cinq ans; la vérificati­on périodique, par un mandataire privé indépendan­t, du respect des obligation­s imposées à l’entreprise; les conséquenc­es en cas de violation de l’accord; et la question des frais de procédure.

Cette propositio­n de DPA CH doit être approuvée sur le principe. En particulie­r parce que cet instrument permettrai­t de concevoir des obligation­s qui soient très précisémen­t adaptées à l’entreprise visée, puis d’en vérifier le parfait respect. Ce n’est en particulie­r que dans le temps long qu’une autorité de poursuite pénale peut s’assurer de ce que les comporteme­nts au sein d’une entreprise se sont véritablem­ent et durablemen­t modifiés.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland