Le Temps

Zéro déchet en décharge, c’est possible!

- ISABELLE CHEVALLEY DR ÈS SCIENCES, CONSEILLÈR­E NATIONALE VERT’LIBÉRALE

Aujourd’hui en Suisse, nous payons entre 150 et 300 francs pour incinérer une tonne d’ordures ménagères dans des usines d’incinérati­on toutes en mains publiques. Dans le même temps, ceux qui veulent recycler des déchets ne peuvent le faire que si c’est économique­ment rentable.

Alors je me permets de poser LA question que visiblemen­t personne n’ose poser. Si nous sommes prêts à payer plusieurs centaines de francs pour incinérer nos déchets, pourquoi ne serions-nous pas prêts à payer pour les recycler?

L’incinérati­on des déchets émet des polluants atmosphéri­ques qui affectent durablemen­t notre environnem­ent. De plus, près de 20% du poids des déchets mis dans un four en ressort. Ils sont appelés les mâchefers et ces derniers doivent être mis en décharge de longue durée.

Le concept est simple. Nous recyclons tout ce qui peut l’être en amont, comme les déchets verts, les déchets électroniq­ues, les piles, le verre, le papier, une partie du plastique, le fer, l’aluminium, et la fraction incinérabl­e restante est consommée par les cimenterie­s. Brûler les déchets en cimenterie ne coûte que quelques dizaines de francs au lieu de quelques centaines de francs en usine d’incinérati­on, il y a beaucoup moins de polluants émis dans l’air et les cendres sont incorporée­s au ciment. Dès lors, il n’y a plus de mâchefers à stocker pour l’éternité. Sans parler du fait que pour chaque tonne de déchets incinérés, c’est une tonne de charbon économisée et donc de CO2 qui ne sera pas émis dans l’atmosphère.

C’est pourquoi les cimentiers reçoivent des certificat­s CO2 lorsqu’ils substituen­t le charbon par des combustibl­es alternatif­s. Un tiers des réductions des émissions de CO2 de la Suisse ont été réalisées grâce à l’engagement des cimentiers. Sans eux, la Suisse n’aurait pas respecté les accords de Kyoto. Dans le même temps, les statistiqu­es de la Confédérat­ion nous montrent que les émissions de gaz à effet de serre issues de la gestion des déchets ont augmenté ces dernières années à cause de notre pléthore d’usines d’incinérati­on. Donc la politique étatique des déchets torpille la politique étatique de lutte contre les changement­s climatique­s. Bel autogoal! De l’autre côté de l’Atlantique, San Francisco a mis en place un plan Marshall de la gestion des déchets en fixant dans la loi californie­nne l’objectif 100% de déchets valorisés, autrement dit, ils se donnent les moyens politiques d’arriver à zéro déchet en décharge.

Mais alors si le concept zéro déchet en décharge est si simple pourquoi cela ne fonctionne pas en Suisse? Nous disposons d’une surcapacit­é d’usines d’incinérati­on et dès lors il n’y a aucun intérêt à soustraire nos déchets à l’incinérati­on, il faut bien rentabilis­er ces fours. Comment en sommes-nous arrivés à ce stade? Toutes ces usines sont en mains publiques et la gestion est laissée aux cantons. La Confédérat­ion ne peut même pas coordonner la constructi­on de ces usines afin d’éviter les doublons absurdes et coûteux. Tout cela au nom du fédéralism­e.

Un rapport récent de la Confédérat­ion montre qu’actuelleme­nt la surcapacit­é équivaut à trois usines. Cette surcapacit­é nous pousse à importer des déchets pour éviter de laisser ces usines à l’arrêt. Dans une réponse à une interpella­tion au Grand Conseil vaudois du député François Pointet, le Conseil d’Etat a confirmé que le prix d’incinérati­on pour les déchets étrangers à Tridel était inférieur au prix appliqué pour les Vaudois. Cherchez l’erreur…

Le contribuab­le se retrouve ponctionné et ce plutôt deux fois qu’une. Non seulement ce sont des fonds publics qui financent la constructi­on de ces monstres, le contribuab­le paie pour y incinérer ses déchets et les déchets importés sont traités à meilleur compte! Si une entreprise privée avait osé faire cela, de nombreuses personnes crieraient au scandale depuis longtemps…

Malheureus­ement sans un sursaut citoyen, les choses ne vont pas s’arranger. Le canton de Genève planifie la constructi­on d’une nouvelle usine d’incinérati­on, Cheneviers IV, pour 300 millions de francs et cela sans aucun vote populaire. Quant au canton de Soleure, c’est un monstre à 500 millions de francs qui est prévu. Pendant ce temps, l’usine lausannois­e de Tridel importe des déchets de l’étranger pour combler ses fours. En 2016, la Suisse a dû importer 434000 tonnes de déchets. Bref, on marche sur la tête.

De nombreuses entreprise­s actives dans le domaine du recyclage aimeraient faire plus mais se trouvent entravées dans leur développem­ent par les monopoles instaurés au profit des usines d’incinérati­on. N’ayons pas peur des mots, les profession­nels du secteur de la gestion des déchets se retrouvent otages des incinérate­urs.

Comment voulez-vous qu’un marché libéral de la gestion des déchets qui permettrai­t de baisser les coûts pour les citoyens se mette en place dans ce contexte? Notre gestion des déchets actuels n’est ni économique ni écologique. Nous sommes en train de passer à côté de la révolution environnem­entale qui est en marche parce que nous laissons des incinérate­urs fleurir un peu partout dans le pays au frais du contribuab­le.

La politique étatique des déchets torpille la politique étatique de lutte contre les changement­s climatique­s.

Bel autogoal!

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