1er Mai: les travailleurs sont perdants, les capitalistes encore davantage
Le 1er Mai commémore le mouvement revendicatif de Chicago en 1886 lorsque des salariés avaient fait grève pour exiger les huit heures de travail quotidien. Ce thème est resté longtemps prioritaire. Une fête? Dans les pays occidentaux, le coeur n’y est pas. Les hausses de salaires sont réduites à la portion congrue et les syndicats dénoncent une précarité et une inégalité croissantes. L’avenir à moyen terme ne devrait pas être plus rose. La concurrence asiatique et la numérisation ne promettent pas de hausses des salaires. Les chiffres parlent d’euxmêmes. La part du travail dans l’économie a chuté de 67 à 47% en 30 ans, avancent Viktor Mayer-Schönberger et Thomas Range, dans leur livre Reinventing Capitalism
in the Age of Big Data (Ed. John Murray, 2018). L’essentiel du déclin est d’ailleurs survenu après l’an 2000, sous l’effet de l’automatisation et du changement technologique, du ralentissement de la productivité, d’une modification des prix relatifs et d’une modification de l’offre de travail. Mais cette évaluation prête le flanc à la critique.
Forte baisse de la part du capital
Dans l’économie, la part du capital suit une tendance encore plus baissière que celle du travail, ainsi que le démontre Simcha Barkai, dans un travail de recherche
(Declining Labor and Capital Shares, London Business School, 2017). Depuis 1997, la baisse de la part du capital est trois fois plus forte que celle du travail, affirme l’économiste.
Les résultats de Simcha Barkai contrastent avec l’approche classique qui voudrait qu’une diminution de la part du travail soit compensée par la hausse de la part du capital. Cette approche suppose que les taux d’intérêt restent stables dans le temps. Or cette hypothèse a été démentie par les faits. Le représentant de la London Business School constate que la politique ultra-expansive des banques centrales a réduit significativement le rendement du capital depuis plus de trente ans. Le coût de l’emprunt sur le marché des capitaux est en effet passé de 14 à 7% (donc un recul de 50%).
Si le capital et le travail sont en recul, le profit est en hausse de plus de 12 points de pourcent, estime Simchai Barkai. En 2014, la valeur des bénéfices atteint 1100 milliards de dollars, à son avis. Ce montant correspond à 14000 dollars par salarié, sous l’effet d’une forte hausse de la marge bénéficiaire et d’une diminution de la concurrence.
L’effet de la baisse des taux d’intérêt
D’une certaine manière, la chute du rendement du capital évoquée par Simchai Barkai est une victoire pour Karl Marx, estime l’économiste Patrick Artus, dans une note pour la banque Natixis. L’auteur du Capital (1867), dont on fêtera samedi les 200 ans de sa naissance à Trèves, est plus populaire que jamais, mais il a complètement tort sur deux thèses principales. L’annonce de la fin du capitalisme se fait cruellement attendre. Et la théorie de la valeur de Marx, selon laquelle la valeur d’un bien est proportionnelle au temps de travail, n’est plus défendue par aucun économiste. La valeur d’un bien dépend de l’offre et de la demande. Si par exemple un ouvrier travaille plusieurs jours à produire un bien qui ne sera pas vendu, la valeur de son produit sera nulle.
La discussion sur la part de l’économie qui revient au travail, au capital ou aux profits omet un point clé: le dynamisme de l’économie. Le gâteau s’est en effet fortement accru depuis Karl Marx. Les salariés profitent du progrès économique et technologique même si la part du travail diminue. Le produit intérieur brut par habitant a été multiplié par 30 depuis 1800, explique Deirdre McCloskey (Bourgeois Dignity: Why Economics can’t explain the modern world).
Le climat intellectuel est morose. Le populisme fait des ravages à gauche comme à droite. Steven Pinker, professeur à Harvard et l’un des plus influents penseurs du moment, montre que les raisons d’être optimiste ne manquent pas dans Enlightenment Now (Allen Lane, 2018). Sur 558 pages, s’appuyant sur une multitude de graphiques, ce professeur montre que depuis deux siècles la paix augmente, le nombre d’homicides s’effondre, les famines disparaissent, l’extrême pauvreté décroît, l’inégalité diminue entre les pays, l’illettrisme reflue. L’espérance de vie a plus que doublé depuis Karl Marx et l’extrême pauvreté a diminué de près de 90%.
Ce progrès remarquable résulte non pas de la technologie, de l’économie ou du combat syndical mais de la liberté individuelle et de son impact sur la créativité et l’esprit entrepreneurial, démontre Deirdre McCloskey.