T-Mobile et Sprint publient enfin leurs bans de mariage
Il aura fallu quatre années de négociations entre les deux opérateurs pour finaliser cette fusion. L’opération doit encore obtenir le feu vert des autorités de la concurrence. Le nouveau T-Mobile devra ensuite gagner la bataille de la 5G sur le territoire américain
Sprint et T-Mobile réaliseront ensemble un chiffre d’affaires de 75 milliards de dollars en 2018.
La troisième fois aura été la bonne. Les opérateurs de téléphonie mobile T-Mobile et Sprint, respectivement troisième et quatrième acteurs du marché américain, ont annoncé dimanche 29 avril leur fusion. Si les autorités de la concurrence donnent leur feu vert à l’opération, il n’y aura plus que trois acteurs sur le marché, AT&T, Verizon et le nouveau T-Mobile.
T-Mobile, filiale américaine de Deutsche Telekom, et Sprint, contrôlé à 83% par le japonais Softbank, cherchent à se rapprocher depuis des années. A l’été 2014, Sprint avait voulu racheter T-Mobile mais avait renoncé après que l’administration Obama eut indiqué qu’elle était opposée à la réduction du nombre d’opérateurs de quatre à trois.
Guerre des prix
Entre-temps, T-Mobile s’est lancé dans une – relative – guerre des prix et a proposé aux consommateurs des offres illimitées, qui lui ont permis de gagner des parts de marché et de devenir numéro trois du secteur, devançant Sprint, qui a vu sa dette s’envoler et sa valeur boursière baisser. C’est dans ce contexte que les négociations de fusion ont repris, mais elles avaient encore échoué en novembre 2017 sur des conflits de gouvernance et de valorisation, Softbank et son président-directeur général, Masayoshi Son, ne voulant pas perdre le contrôle du nouvel ensemble.
La troisième tentative, scellée dimanche, marque la victoire nette de T-Mobile et son actionnaire Deutsche Telekom. Le patron de T-Mobile, John Legere, prendra la tête du nouvel ensemble. Deutsche Telekom en détiendra 42%, tandis que la part de Softbank sera limitée à 27%, le solde du capital étant en bourse. Les Allemands, surtout, forts de 69% des droits de vote, nommeront 9 des 14 membres du conseil de surveillance – son président sera le président-directeur général de Deutsche Telekom, Timotheus Höttges – tandis que les Japonais en désigneront quatre.
«Perdre le contrôle de Sprint signifie perdre position sur le marché américain… Nous le regretterions profondément dans dix ans», avait pourtant déclaré fin 2017 Masayoshi Son. Le japonais a changé de stratégie: face à l’ampleur des investissements nécessaires dans les télécoms, il a décidé d’opérer un recentrage sur les hautes technologies, notamment par le biais de son fonds VisionFund, créé en partenariat avec l’Arabie saoudite fin 2016.
A la clôture en bourse vendredi, Sprint était valorisé 26 milliards de dollars (25,76 milliards de francs) et T-Mobile, 55 milliards. Le nouvel ensemble réalisera un chiffre d’affaires de 75 milliards de dollars en 2018, et espère réaliser 6 milliards de dollars d’économies, en supprimant par exemple 35000 relais téléphoniques.
L’opération est censée être bouclée au premier semestre 2019. Une hypothèque majeure pèse sur le rachat, la position des autorités de la concurrence. De nombreux observateurs avaient tablé sur un assouplissement des contraintes sous l’administration Trump. Ce n’est pas ce qui s’est passé, le Ministère de la justice ayant contesté le rachat pour 85 milliards de dollars
du géant de la télévision Time Warner par l’opérateur téléphonique AT&T. Beaucoup ont invoqué la détestation de Donald Trump pour CNN, propriété de Time Warner, mais l’explication n’est pas complète: il existe un problème majeur de coût des services de téléphonie portable et de câble aux Etats-Unis, chaque abonnement dépassant les 100 dollars.
Bascule oligopolistique
D’une manière générale, l’administration Trump pourrait se montrer plus exigeante que ses prédécesseurs, le capitalisme américain ayant connu ces dernières années une bascule oligopolistique, favorisant la rente, peu propice à l’innovation et défavorable aux salariés-consommateurs.
Dans une vidéo diffusée dimanche, les patrons de T-Mobile et de Sprint, John Legere et Marcelo Claure, ont commencé leur travail de persuasion. La concurrence aurait changé de nature, avec le rapprochement des marchés du câble, de la télévision et du mobile. «Le sujet n’est pas de passer de quatre à trois entreprises de téléphonie mobile, il y a au moins sept ou huit compétiteurs sur ce marché qui converge», a déclaré John Legere.
T-Mobile explique qu’AT&T est désormais le premier fournisseur de télévision du pays, que Comcast (propriétaire de CBS) a conquis plus de clients dans le téléphone mobile qu’AT&T et Verizon en 2017 et que 12% des Américains utilisent leur téléphone mobile comme unique fournisseur d’accès internet et de télévision. Et ce sera encore plus vrai avec la nouvelle technologie 5G, qui sera en moyenne quinze fois plus rapide que la 4G actuelle. T-Mobile en fait son nouvel horizon. «La différence entre la 4G et la 5G, c’est comme la différence entre la télévision noir et blanc et la télévision couleur», a estimé Marcelo Claure.
Pour accomplir ce saut technologique, les deux entreprises ont promis d’investir 40 milliards de dollars dans les trois prochaines années. Elles ont pour atout des droits de bande passante considérables, bien supérieurs à ceux d’AT&T et de Verizon, mais elles ont aussi le dos au mur: T-Mobile a peu de cash-flow (flux de trésorerie), du fait de la guerre des prix qu’il a menée, tandis que Sprint est endetté à hauteur de 30 milliards de dollars. La bataille de la 5G est une question de survie.
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Si les autorités de la concurrence donnent leur feu vert, il n’y aura plus que trois acteurs sur le marché américain