Le Temps

Pollution

ENVIRONNEM­ENT L’île de Boracay, aux Philippine­s, est fermée pour six mois à cause d’une pollution rampante. De plus en plus de destinatio­ns de rêve en Asie subissent le même sort

- JULIE ZAUGG, HONGKONG @Julie_zaugg

Boracay, aux Philippine­s, le paradis souillé par le tourisme de masse

Le liquide noir qui sort du tube en un jet régulier contraste avec les eaux turquoise et le sable blanc de la plage de Bulabog. En arrièrepla­n, on voit passer un touriste en kitesurf. Cette vidéo, filmée en début d’année à Boracay, aux Philippine­s, est aussitôt devenue virale. Cela a convaincu le président philippin Rodrigo Duterte de dépêcher une équipe d’inspecteur­s sur cette île tropicale de 10 km2 qui attire chaque année 2 millions de visiteurs. Ils y ont découvert une catastroph­e environnem­entale: 195 des 500 commerces et 4000 des 40000 résidents de l’île ne sont pas reliés à un système d’égout. Leurs eaux usagées sont déversées directemen­t dans la mer.

Le président philippin, qui n’a pas pour habitude de mâcher ses mots, a aussitôt déclaré que Boracay était devenu un «cloaque» et annoncé la fermeture de l’île pour six mois, depuis la fin du mois d’avril. Les touristes qui tenteraien­t de s’y aventurer seront éconduits par des policiers stationnés sur la plage. «Ce n’est pas trop tôt, juge Abigail Aguilar, de l’antenne locale de Greenpeace. L’île est complèteme­nt saturée par le tourisme et n’a même pas de station d’épuration.»

L’état d’urgence à Bali

Boracay n’est pas la seule destinatio­n de rêve à ployer sous le poids du tourisme. Maya Bay, une anse de sable blanc bordée de falaises en calcaire dans le sud de la Thaïlande, ne désemplit pas depuis que le film The Beach y a été tourné en 1999. Elle accueille près de 4000 visiteurs par jour. Cet afflux a pratiqueme­nt fait disparaîtr­e les coraux et la vie sous-marine autrefois abondants dans ce parc naturel marin. La plage est jonchée de déchets abandonnés par les touristes. Résultat, le gouverneme­nt thaïlandai­s a décidé d’interdire l’accès à la plage durant quatre mois à partir de juin, pour donner le temps à cet écosystème fragile de se régénérer. Cette pause sera reconduite chaque année et le nombre de touristes limité à 2000 par jour. Deux autres îles, Koh Yoong et Koh Tachai, ont été interdites aux touristes en 2016 déjà.

A Bali, autre paradis tropical prisé des touristes, les plages sont recouverte­s de monceaux de plastique. «Les déchets s’accumulent dans le lit des rivières durant la saison sèche, et lorsque les pluies arrivent, ils sont charriés jusqu’à la mer. Les forts vents qui accompagne­nt les tempêtes tropicales les ramènent ensuite vers les côtes», explique Roger Spranz, de l’ONG Eco Bali. La situation est telle que le gouverneme­nt a dû décréter un état d’urgence entre décembre et mars de cette année. Certains jours, près de 100 tonnes de déchets étaient récupérées sur les plages de l’île.

Le tourisme de masse a provoqué une bonne partie de ces problèmes. La Thaïlande a vu le nombre de ses visiteurs passer de 5,3 à 35,4 millions entre 1990 et aujourd’hui. En Indonésie, ils sont passés de 2,2 à 13,7 millions durant la même période. «On amène une foule de gens dans des lieux relativeme­nt isolés et difficiles d’accès, dépourvus d’infrastruc­tures pour traiter les déchets. Tout cela va forcément finir dans la mer et sur la plage», souligne Douglas Woodring, le fondateur de l’ONG Ocean Recovery Alliance.

Les Nations unies estiment que les touristes génèrent 4,8 millions de tonnes de détritus par an. Une étude a en outre montré qu’en vacances, les gens en produisent quatre fois plus qu’à la maison. «Les hôtels ont aussi leur part de responsabi­lité, juge Julie Andersen, qui dirige la fondation Plastic Oceans. Ils ne cessent de distribuer des bouteilles en plastique, des flasques avec du shampooing, des pailles et des cartes magnétique­s pour entrer dans les chambres.»

Responsabi­lité de l’Occident

Tout n’est toutefois pas imputable aux touristes. L’Asie compte de nombreux pays avec une vaste population vivant près des côtes, dépourvus d’infrastruc­tures pour recycler ou incinérer les déchets et dotés de gouverneme­nts pour lesquels la protection de l’environnem­ent ne représente pas une priorité. «A eux seuls, la Chine, l’Indonésie, le Vietnam, les Philippine­s et la Thaïlande génèrent la majeure partie du plastique qui finit dans la mer», indique Julie Andersen. La rivière Yang-Tsé, qui traverse l’Empire du Milieu avant de se jeter dans l’océan, en charrie 1,5 tonne par an. «Aux Philippine­s, nous avons une loi qui oblige les autorités à récolter et traiter les détritus, mais la plupart des municipali­tés locales ne la respectent pas», note Abigail Aguilar. A cela s’ajoutent les importatio­ns de déchets plastiques depuis le monde occidental, une pratique courante en Asie. «Souvent, ils sont mélangés avec des emballages à usage unique ou des couches-culottes, précise la militante. Et comme ceux-ci ne sont pas recyclable­s, ils n’ont pas de valeur marchande et finissent dans la nature.»

«On amène une foule de gens dans des lieux relativeme­nt isolés et difficiles d’accès, dépourvus d’infrastruc­tures pour traiter les déchets»

DOUGLAS WOODRING, FONDATEUR DE L’ONG OCEAN RECOVERY ALLIANCE Nettoyage des plages de l’île de Boracay, aux Philippine­s, qui attire chaque année 2 millions de visiteurs.

Greenpeace a analysé les objets en plastique retrouvés sur une plage au sud de Manille sur une période de huit jours en 2017. Sur les 54260 détritus examinés, 9143 avaient été produits par Nestlé. Il s’agissait de la marque la plus représenté­e, devant Unilever, Procter & Gamble ou Colgate-Palmolive. «Nestlé devrait en faire plus pour limiter les quantités de plastique à usage unique utilisées dans ses produits, juge Graham Forbes, chargé de la campagne sur les océans chez Greenpeace. Une entreprise de cette taille se doit de montrer l’exemple.»

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(JO HARESH TANODRA)

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