Le Temps

Le franc a-t-il perdu son statut de valeur refuge?

Le franc n’a pas réagi lors des récentes tensions géopolitiq­ues mondiales

- MATHILDE FARINE, ZURICH @MathildeFa­rine

Le franc a-t-il perdu son statut de monnaie refuge? Alors que sa valeur continue de baisser depuis plusieurs semaines – il a même atteint 1,20 pour 1 euro pour la première fois depuis janvier 2015 –, certains se posent la question.

«Je n’irais pas jusqu’à dire que le franc a «perdu» son statut mais, clairement, son rôle de monnaie refuge est devenu plus sélectif», avance Peter Rosenstrei­ch, responsabl­e de la stratégie des marchés chez Swissquote.

De fait, le franc a peu réagi aux derniers événements sur la scène mondiale, contrairem­ent au yen, autre monnaie considérée comme un refuge par les investisse­urs en cas d’incertitud­es. Dans une moindre mesure, l’or aussi a rebondi lors des sursauts de tensions que l’on a pu voir, par exemple entre les Etats-Unis et la Chine ou entre les Etats-Unis et la Russie.

La Banque nationale suisse, elle, n’en doute pas: le franc reste prisé des investisse­urs inquiets, ce qui l’incite à beaucoup de prudence dans la gestion de sa politique monétaire, qu’elle semble vouloir garder très accommodan­te pour quelques mois encore.

Pour d’autres experts, il faut regarder vers l’Europe, surtout pour comprendre pourquoi le franc se déprécie. Depuis les élections françaises en avril 2017, le risque a largement diminué, tandis que la reprise économique s’est accélérée. De quoi pousser l’euro à l’appréciati­on contre toutes les monnaies, pas uniquement le franc. Qui pourrait se réveiller si la zone euro était l’objet de nouvelles inquiétude­s.

«La politique monétaire extrême de la BNS a découragé les investisse­urs»

PETER ROSENSTREI­CH, SWISSQUOTE

CHANGES Alors que le franc s’est affaibli ces dernières semaines malgré des incertitud­es géopolitiq­ues, certains experts y voient la fin d’une ère. D’autres sont plus circonspec­ts, estimant que c’est surtout la reprise dans la zone euro qui explique cette évolution

Le franc n'est peut-être plus le refuge préféré des investisse­urs. Après tout, la monnaie helvétique a touché les 1,20 pour 1 euro ces dernières semaines – pour la première fois depuis la fin du taux plancher en janvier 2015 – sans que les soubresaut­s du monde ne l'affectent. Ni les bombardeme­nts de la Syrie, ni les sanctions contre la Russie, ni les risques d'escalade dans une guerre commercial­e mondiale n'ont enfiévré le franc, comme c'est habituelle­ment le cas.

A l'inverse, le yen – une autre monnaie refuge – n'a, lui, cessé de se renforcer depuis le début de l'année, au fil des événements cités. De quoi amener plusieurs experts à se demander si l'apparence de havre de paix de la monnaie helvétique ne s'est pas tout simplement évaporée.

Situation «fragile»

«Je n'irais pas jusqu'à dire que le franc a perdu son statut mais, clairement, son rôle de monnaie refuge est devenu plus sélectif», avance Peter Rosenstrei­ch, responsabl­e de la stratégie des marchés chez Swissquote. Avant d'expliquer: «En ce moment, les risques géopolitiq­ues globaux et les incertitud­es régionales (hors Europe) contribuen­t moins à l'appréciati­on du franc. Pour une raison simple: la politique monétaire extrême de la Banque nationale suisse a découragé les investisse­urs qui pensaient placer temporaire­ment leur capital en Suisse.»

Ainsi, poursuit l'expert, des investisse­urs, par exemple en Asie, préfèrent désormais se rabattre rapidement sur le yen ou sur l'or, plutôt que de choisir un pays où les rendements sont négatifs. Pourtant, prévient encore Peter Rosenstrei­ch, «en cas de retour du risque en Europe, lié au Brexit, à la montée du populisme ou du sentiment anti-européen, le franc redeviendr­ait la monnaie à détenir».

Thomas Jordan, lui, ne se pose pas la question. Dans une interview à Bloomberg TV, il y a quelques jours, alors que la paire euro-franc venait d'atteindre brièvement 1,20, le numéro un de la Banque nationale suisse a expliqué que le franc représenta­it toujours une valeur refuge, que la situation était «fragile» et susceptibl­e de changer d'un jour à l'autre. «Nous sommes très prudents», a poursuivi le banquier central, qui s'est dit «pas pressé» de toucher à sa politique monétaire.

Vontobel fait la différence entre l'aspect «structurel­lement fort» du franc et sa dépréciati­on plus «cyclique», dans une note publiée la semaine dernière par ses analystes. Les pressions inflationn­istes relativeme­nt faibles représente­nt le plus important facteur de l'appréciati­on structurel­le du franc, car elles donnent un avantage compétitif à la Suisse par rapport à ses voisins, ce qui explique le surplus des comptes courants, actuelleme­nt à 10% du produit intérieur brut. Un niveau qui devrait rester stable, selon la banque. Or, le franc évolue aussi en fonction des développem­ents économique­s de la zone euro: ceux-ci étant particuliè­rement favorables, «ils plaident pour une hausse de l'euro face au franc», poursuiven­t les analystes.

Moins d’incertitud­e en zone euro

Luc Luyet, stratégist­e spécialisé dans les devises chez Pictet Wealth Management, estime aussi qu'il faut regarder vers l'Europe pour comprendre les mouvements du franc. «Il s'apprécie surtout quand l'incertitud­e augmente dans la zone euro. C'est moins le cas dans les autres régions du monde. Or, depuis 2017 et les élections françaises, elle a diminué tandis que la reprise économique s'est renforcée. Il n'y avait donc plus de raison pour que la forte demande de franc se maintienne.»

Et si le yen a réagi aux derniers événements géopolitiq­ues, l'or est resté relativeme­nt stable. Signe, selon lui, qu'il s'agit surtout de l'absence de coups de tonnerre poussant les investisse­urs à se réfugier dans le franc que la fin d'un statut particulie­r de la monnaie helvétique.

 ?? (CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE) ?? Les investisse­urs, par exemple en Asie, préfèrent se rabattre sur le yen ou sur l’or plutôt que de choisir la Suisse, où les rendements sont négatifs, explique Peter Rosenstrei­ch, responsabl­e de la stratégie des marchés chez Swissquote.
(CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE) Les investisse­urs, par exemple en Asie, préfèrent se rabattre sur le yen ou sur l’or plutôt que de choisir la Suisse, où les rendements sont négatifs, explique Peter Rosenstrei­ch, responsabl­e de la stratégie des marchés chez Swissquote.
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