Dans le Pacifique, une France «normalisée»
INTERNATIONAL Arrivé en Australie mardi avant de se rendre à Nouméa, Emmanuel Macron mise sur le prochain référendum en Nouvelle-Calédonie pour aplanir ses relations avec les Etats de cette région
La presse australienne a bien résumé l'enjeu: «The French reconnection» (la reconnexion française), titrait mardi le quotidien The Australian pour l'arrivée à Sydney d'Emmanuel Macron. Oubliées, les années de brouille causées en Océanie-Pacifique par le sabotage du Rainbow Warrior en Nouvelle-Zélande (1985), par la prise d'otages d'Ouvéa et la crise politique en Nouvelle-Calédonie (1988) puis par la reprise en 1995 des essais nucléaires sous la présidence Chirac. C'est une France «normalisée», à laquelle l'Australie a acheté en 2016 12 sous-marins pour un montant de 30 milliards d'euros, qui renoue avec cette région stratégique où la Chine avance de plus en plus ses pions.
Choisir de débarquer en Australie le 1er mai, alors que la France sociale est en ébullition, ne pouvait pas mieux résumer la volonté du locataire de l'Elysée de rester à distance du dossier SNCF, confié au premier ministre, Edouard Philippe, qui recevra les partenaires sociaux le 7 mai. Mais c'est aussi de la politique intérieure qu'Emmanuel Macron vient faire à 18000 kilomètres de Paris. Après Sydney, le président effectuera un périple plus risqué en Nouvelle-Calédonie, où les électeurs se prononceront le 4 novembre sur l'avenir de ce territoire. La question sera limpide, «Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante?», et la conséquence immédiate. «Il est acquis que si le oui l'emporte, Paris reconnaîtra lendemain l'indépendance, explique un diplomate. Même les Etats insulaires les plus sceptiques du Pacifique reconnaissent que la République a tenu parole.»
Crise ouverte
Cette parole remonte à 1988. La Nouvelle-Calédonie est alors en feu, et une partie des indépendantistes kanaks ont pris les armes. Motif: le référendum sur l'auto-détermination organisé quelques mois plus tôt, en 1987, remporté à 98% par les opposants à l'indépendance alors que les partis kanaks l'ont boycotté. La crise est ouverte entre la France, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les états océaniens. Il faudra la patience du gouvernement Rocard, après la réélection de François Mitterrand, pour que soient signés les Accords de Matignon, approuvés par référendum. La promesse d'un second vote sur l'indépendance est alors entérinée, assortie d'un transfert de souveraineté dans presque tous les domaines sauf la défense, la justice et la monnaie. Une prouesse diplomatique que paiera cher le négociateur kanak Jean-Marie Tjibaou, assassiné en 1989.
Double objectif, cette fois, pour Macron, qui ne s'était jamais jusque-là rendu en Nouvelle-Calédonie. Le premier est stratégique. «On ne peut plus dissocier le statut du territoire des relations avec les Etats océaniens, poursuit notre interlocuteur. La France doit s'affirmer comme un partenaire.» A la clé? Une coalition occidentale pour contrer Pékin. Le Pacifique est riche en ressources. Les pays insulaires menacés par le réchauffement sont surendettés. Alors… «Après la Chinafrique, pourra-t-on parler demain de la Chineocéanie?» s'interroge le chercheur Jean-François Sabouret dans L’Océanie convoitée (CNRS Editions), pour qui «l'un des tentacules chinois passe incontestablement par le Pacifique».
Le second objectif du président français est la mise en oeuvre d'une décolonisation «douce», jamais réussie jusque-là par la République. Chaque ambassade de la région inclut désormais un diplomate kanak. Les 300000 Néo-Calédoniens sont de ce point de vue un laboratoire, tandis que le second tour des élections territoriales en Polynésie a lieu le 6 mai.
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